Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/275

Cette page n’a pas encore été corrigée

ENTRETIENS

D'UN SAUVAGE ET D'UN BACHELIER.

��PREMIER ENTRETIEN.

Un gouverneur de la Cayenne amena un jour un sauvage de la Guiane qui était né avec beaucoup de bon sens, et qui parlait assez bien le français. Un bachelier de Pans eut l'honneur d'avoir avec lui cette conversation.

LE BACHELIER.

Monsieur le sauvage, vous avez vu sans doute beaucoup de vos camarades qui passent leur vie tout seuls : car on dit - que c'est là la véritable vie de l'homme, et que la société n'est qu'une dépravation artificielle?

LE SAUVAGE.

Jamais je n'ai vu de ces gens-là : Thomme me paraît né pour la société, comme plusieurs espèces d'animaux ; chaque espèce suit son instinct ; nous vivons tous en société chez nous.

LE BACHELIER.

Comment! en société! vous avez donc de belles villes murées, des rois qui tiennent une cour, des spectacles, des couvents, des universités, des bibhothèques, et des cabarets ?

LE SAUVAGE.

Non ; est-ce que je n'ai pas ouï dire que dans votre continent vous avez des Arabes, des Scythes, qui n'ont jamais rien eu de tout cela, et qui forment cependant des nations considérables ? nous vivons comme ces gens-là. Les familles voisines se prêtent du secours. Nous habitons un pays chaud, où nous avons peu

1. Ces Entretiens parurent dans un petit volume intitulé Mélanges de litté- rature, d'histoire, de philosophie, etc., 1761, in-8".

2. J.-J. Rousseau.

�� �