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DU CARDINAL ALBÉRONI.

nations prendre l’alarme sur le nombre des domestiques et sur la vaisselle d’un plénipotentiaire. Vous étiez malade apparemment quand vous dictâtes cet article de votre testament ; et vous donnez en mourant votre malédiction pour bien peu de chose. Votre Éminence était de mauvaise humeur quand elle a dicté l’article par lequel elle réprouve en politique le projet de ce général. Ce n’est pas à elle à juger par l’événement. Des hommes qui auront plus de réputation que vous dans la postérité, parce que avec un génie égal au vôtre ils ont eu plus de bonheur, ont dit que ce plan, qui vous paraît chimérique, était le comble de la vraisemblance. En effet, quel était ce plan ? C’était d’unir la France, l’Espagne, la Prusse, la Saxe, la Bavière, pour juger, les armes à la main, le procès de la succession de l’Autriche. Un jeune roi victorieux avait d’un côté cent mille hommes en armes et les mieux disciplinés de l’Europe ; la Saxe en avait près de cinquante mille ; deux armées françaises, d’environ quarante mille hommes chacune, étaient toutes deux au milieu de l’Allemagne. On était aux portes de Vienne. L’Espagne allait fondre dans l’Italie, et à peine paraissait-il alors qu’il y eût un ennemi à combattre. On avait proposé encore de faire agir d’autres ressorts que l’histoire découvrira un jour. On demande, après cela, si jamais entreprise eut de plus belles apparences ? On demande si ce projet n’était pas cent fois plus plausible que les vôtres ? On a vu quelquefois de petites armées renverser de grands empires. Ici deux cent cinquante mille hommes attaquent une femme sans défense ; et elle se soutient. Avouez-le, monsieur le cardinal, il y a quelque chose là-haut qui confond les desseins des hommes.

Vous êtes bien mal instruit pour un grand ministre, quand vous dites que ce général que vous condamnez demanda cent mille hommes au cardinal de Fleury. Je peux assurer Votre Éminence qu’il n’en demanda que cinquante mille pour aller à Vienne, et dans cette armée il voulait vingt mille hommes de cavalerie. On ne lui donna que trente-deux mille hommes complets, parmi lesquels il n’y avait que huit mille cavaliers ; mais cela composait, avec les troupes des alliés, une force à laquelle il paraissait que rien ne devait résister, puisque ceux qu’on attaquait n’avaient pas encore une armée rassemblée. Je pourrais sur ce point d’histoire apprendre à feu Votre Éminence bien des choses qu’elle ignore, et qui lui feraient connaître que celui qu’elle feint de mépriser est très-digne de son estime[1].

  1. Voltaire avait été un des agents du cabinet de Versailles pendant cette guerre.