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LETTRE

DE M. CLOCPICRE À M. ÉRATOU[1]

SUR LA QUESTION
SI LES JUIFS ONT MANGÉ DE LA CHAIR HUMAINE, ET COMMENT ILS L’APPRÊTAIENT[2] ?


Monsieur et cher ami, quoiqu’il y ait beaucoup de livres, croyez-moi, peu de gens lisent ; et, parmi ceux qui lisent, il y en a beaucoup qui ne se servent que de leurs yeux. J’étais hier en conférence avec M. Pfaff, l’illustre professeur de Tubinge, si connu dans tout l’univers, et M. Crokius Dubius, l’un des plus savants hommes de notre temps. Ils ne savaient point que les Juifs eussent mangé souvent de la chair humaine. Dom Calmet lui-même, qui a copié tant d’anciens auteurs dans ses Commentaires, n’a jamais parlé de cette coutume des Juifs. Je dis à M. Pfaff et à M. Crokius qu’il y avait des passages qui prouvaient que les Juifs avaient autrefois beaucoup aimé la chair de cheval et la chair d’homme : Crokius me dit qu’il en doutait ; et Pfaff m’assura crûment que je me trompais.

Je cherchai sur-le-champ un Ézéchiel, et je leur montrai au chapitre xxxix[3] ces paroles :

« Je vous ferai boire le sang des princes et des animaux gras ; vous mangerez de la chair grasse jusqu’à satiété ; vous vous remplirez, à table, de la chair des chevaux et des cavaliers. »

M. Pfaff dit que cette invitation n’était faite qu’aux oiseaux :

  1. Anagramme d’Arouet.
  2. Voltaire parle de cet écrit dans une lettre à d’Argental, du mois de mai 1761.

    Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Anthropophages, tome XVII, pages 262-271.

  3. Versets 18-20.