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Je ne suis pas le seul à qui le marquis ait fait cette déclaration, que confirmait un manuscrit possédé par Mme Dufour de Villeneuve, sœur de Naigeon. Dans ce manuscrit les premières et dernières lignes de la première lettre sont de la main de Ximenez. Je ne sais de qui est le commencement du manuscrit ; mais à partir de la fin de la troisième lettre, il est de la main de Wagnière, secrétaire de Voltaire. Dans la première lettre, il y a en interligne des corrections de la main de Ximenez, qui, la plupart du temps, n’a fait que substituer la première personne du singulier à la première personne du pluriel. Les changements à la seconde lettre, aussi en interlignes, sont de la main de Voltaire.

À la vente de la bibliothèque de Mme Dufour de Villeneuve, en mai 1820, j’ai acquis le manuscrit dont je viens de parler.


B.
15 juin 1830.



PREMIERE LETTRE.

À qui pourrais-je adresser[1] mes doutes qu’à vous, monsieur, qui avez encore illustré par votre génie une nation que les Corneille et les Racine avaient rendue la première de l’Europe ?

Je ne sais plus de quels termes il faut se servir. Si je compare le langage des plus orgueilleux écrivains de notre siècle à celui des bons auteurs du siècle de Louis XIV ou au vôtre, je n’y trouve rien qui se ressemble. Je veux bien croire qu’on a aujourd’hui plus de goût, plus de talent, plus de lumières que du temps des Pascal, des Racine et des Boileau. Concevez donc ma juste affliction de ne pouvoir entendre les nouveaux génies qu’il faut admirer. Je viens de parcourir une brochure où les choses dont l’auteur rend compte sont au parfait : j’ai cru d’abord qu’il voulait parler de quelques verbes ; point du tout, c’est de peinture et de sculpture. Une princesse, dans un roman[2], est bien éduquée :

  1. Dans le manuscrit que je possède, et dont j’ai parlé dans l’Avertissement, voici les phrases auxquelles Ximenez a substitué les siennes :

    « À qui pourrions-nous adresser nos doutes qu’à vous, monsieur, qui avez rendu tant de services à notre langue et au bon goût ? Nous ne savons plus de quels termes il faut se servir aujourd’hui. Nous comparons le langage des illustres écrivains de notre siècle à celui des bons auteurs du siècle de Louis XIV, que vous avez vu finir, et nous n’y trouvons rien qui se ressemble. Nous sentons bien qu’on a aujourd’hui, etc. »

    L’emploi de la première personne du pluriel dans ce passage ne permettait pas de l’introduire dans le texte, où est employée la première personne du singulier. (B.)

  2. La Nouvelle Héloïse de J.-J. Rousseau. (Note de Voltaire.)