Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/144

Cette page n’a pas encore été corrigée

134 DIALOGUES CHRÉTIENS.

SECOND DIALOGUE

ENTRB UN PRÊTRE ET UN MINISTRE PROTESTANT'. LE PRÈTHE.

Entrez, entrez, monsieur. Vous me trouvez ici bien échauffé; ne croyez pas, je vous prie, que ce soit en parlant de controverse que ma bile s'est allumée; je ne songe plus ni à Calvin ni à Luther ; ce n'est plus contre les réformateurs que je veux écrire ; ce ne sera plus le mot d'hérétique que je ferai résonner dans mes écrits et dans mes sermons. Je veux poursuivre les philosophes, les encyclopédistes : et voilà les vrais schismatiques. Il faut que nous oubliions tous nos démêlés, que nous nous passions mutuel- lement nos dogmes et notre doctrine, et que nous nous réunis- sions contre cette engeance pernicieuse qui a voulu nous détruire : car, ne vous y trompez pas, ils en veulent également à tous les ecclésiastiques, à toutes les religions; il prétendent établir l'empire de la raison. Et nous resterions tranquilles dans ce danger!

LE MINISTRE.

Monsieur, je loue infiniment le dessein où vous êtes de perdre ceux qui veulent nous décréditer, mais j'en blâme la manière; il faut s'y prendre plus doucement, et par là plus sûrement : pres- que toujours on se nuit à soi-même en poursuivant son ennemi avec trop de passion et d'acharnement. Je sais bien aussi qu'il ne faut pas trop raisonner, et que ces gens-là sont assez subtils pour en imposer à ceux qui examinent. Mais il faut décrier les auteurs, et alors l'ouvrage perd certainement son crédit ; il faut adroite- ment empoisonner leur conduite; il faut les traduire devant le public comme des gens vicieux, en feignant de pleurer sur leurs vices ; il faut présenter leurs actions sous un jour odieux, en fei- gnant de les disculper ; si les faits nous manquent, il faut en supposer, en feignant de taire une partie de leurs fautes. C'est par ces moyens-là que nous contribuerons à l'avancement de la reli- gion et de la piété, et que nous préviendrons les maux et les scandales que les philosophes causeraient dans le monde s'ils y trouvaient quelque créance.

LE PRÊTRE.

Voilà qu'on vous surprend toujours dans ce malheureux défaut

1. Le ministre protestant est Verncl ; voyez la lettre de Voltaire à Borde, du 5 septembre 17G0.

�� �