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EXTRAIT


DES


NOUVELLES À LA MAIN DE LA VILLE DE MONTAUBAN
EN QUERCY (1er juillet 1760)[1].




Le Mémoire de M. Lefranc de Montauban, présenté au roi[2], étant parvenu à Montauban, et chacun étant stupéfait, les parents du sieur auteur du mémoire s’assemblèrent : et ayant reconnu que ledit sieur instruisait familièrement Sa Majesté de ses gestes, dits et écrits ; qu’il parlait au roi des entretiens amiables que lui sieur Lefranc avait eus avec M. d’Aguesseau ; qu’il apprenait au roi qu’il avait eu une bibliothèque à Montauban, et, de plus, qu’il faisait des vers ; ayant remarqué dans ledit écrit plusieurs autres passages qui dénotaient une tête attaquée ; ils députèrent en poste un avocat de ladite ville au sieur auteur, demeurant pour lors à Paris, et lui enjoignirent de s’informer exactement de sa santé et d’en faire un rapport juridique. Ledit avocat, accompagné d’un témoin irréprochable, alla à Paris, et se transporta chez le malade : il le trouva debout, à la vérité, mais les yeux un peu égarés, et le pouls élevé. Le patient cria d’abord devant les deux députés : Jeovah, Jupiter, Seigneur[3].

« Je ne suis qu’un avocat, répondit le voyageur ; je ne m’appelle point Jeovah. — Avez-vous vu le roi ? dit le malade. — Non, monsieur, je viens vous voir. — Allez dire au roi de ma part, reprit le sieur malade, qu’il relise mon mémoire, et portez-lui le catalogue de ma bibliothèque. » L’avocat lui conseilla de manger de bons potages, de se baigner, et de se coucher de bonne heure.

  1. Faisait partie du Recueil de facéties parisiennes.
  2. Voyez la note 3 de la page 131.
  3. Prière du déiste composée par ledit sieur. (Note de Voltaire.) — Voyez la note 1 de la page 112. Les trois mots mis en italique par Voltaire forment le quatrième vers de la Prière universelle, traduite par Lefranc.