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DE RAMPONEAU.

entre les mains de maître Mannory[1], célèbre dans l’univers, qui a fait imprimer des plaidoyers lus de l’univers, et l’univers entier jugerait entre Gaudon et Ramponeau. Je vois d’ici maître Beaumont sourire ; je l’entends répéter ces mots d’Horace, ce poëte du Pont-Neuf que j’ai ouï souvent citer :

Perfidus hic caupo.
(Livre I, sat. 1, 29.)
.....cauponibus atque malignis.
(Id., I, iv, 4.)
Ce fripon de cabaretier, ces cabaretiers malins.

Il aura recours même à l’Encyclopédie, ouvrage d’un siècle que j’ai entendu nommer de Trajan[2] : car à quoi n’a-t-on point recours dans une mauvaise cause ? L’Encyclopédie, à l’article Cabaret, prétend que les lois de la police ne sont pas toujours rigoureusement observées dans nos maisons. Je demande justice à la cour de cette calomnie : je me joins à maître Palissot, maître Lefranc de Pompignan, et maître Fréron, contre ce livre abominable. Je savais déjà par leurs émissaires, mes camarades ou mes pratiques, combien ce livre et leurs semblables sont pernicieux.

Une foule de citoyens de tout ordre et de tout âge les lit, au lieu d’aller au cabaret : les auteurs et les lecteurs passent dans leurs cabinets une vie retirée, qui est la source de tant d’attroupements scandaleux. On étudie la géométrie, la morale, la métaphysique, et l’histoire : de là ces billets de confession qui ont troublé la France, ces convulsions qui l’ont également déshonorée, ces cris contre des contributions nécessaires au soutien de la patrie, tandis que les comédiens recueillent plus d’argent par jour aux représentations de la pièce charitable contre les Philosophes que le souverain n’en retire pour le soutien du royaume. Ces détestables livres enseignent visiblement à couper la bourse et la gorge sur le grand chemin : ce qui certes n’arrive pas à la Courtille, où nous abreuvons les gorges, et vidons les bourses loyalement.

  1. Louis Mannory, né à Paris en 1696, mort en 1777, est l’auteur de Plaidoyers et Mémoires, 1759 et années suivantes, dix-huit volumes in-12. Après avoir été grand partisan de Voltaire, et avoir écrit en faveur de son Œdipe (voyez tome Ier du Théâtre, page 9), il passa dans le rang de ses ennemis ; et il est probablement l’un des auteurs, c’est-à-dire compilateurs, du Voltariana ; voyez, tome XXII, la note 2 de la page 76.
  2. Voyez, tome III du Théâtre, la note de la page 351.