Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
DÉFENSE DU NEWTONIANISME.

l’ai toujours regardé comme le premier génie de son siècle ; mais autre chose est d’admirer, autre chose est de croire. Je l’ai déjà dit[1] : Aristote, qui réunissait à la fois les mérites d’Euclide, de Platon, de Quintilien, de Pline ; Aristote, qui, par l’assemblage de tant de talents, était, en ce sens, au-dessus de Descartes et même de Newton, est pourtant un auteur dont il ne faut pas lire la philosophie.

[2]Veut-on se faire une idée très-juste de la physique de Descartes, qu’on lise ce qu’en dit le célèbre Boerhaave, qui vient de mourir[3] ; voici comment il s’explique dans une de ses harangues :

« Si de la géométrie de Descartes vous passez à la physique, à peine croirez-vous que ces ouvrages soient du même homme ; vous serez épouvanté qu’un si grand mathématicien soit tombé dans un si grand nombre d’erreurs ; vous chercherez Descartes dans Descartes, vous lui reprocherez tout ce qu’il reprochait aux péripatéticiens, c’est-à-dire que rien ne peut s’expliquer par ses principes. »

Voilà comme pensent, malgré eux, des livres de Descartes, ceux-là mêmes qui se disent cartésiens ; aucun ne peut suivre son système sur la lumière, que toutes les expériences ont ruiné ; ses lois du mouvement furent démontrées fausses par Waren et par Huygens, etc. Sa description anatomique de l’homme est contraire à ce que l’anatomie nous apprend ; de tous ceux qui ont adopté son roman contradictoire des tourbillons il n’y en a aucun qui n’en ait fait un autre roman. On proscrit donc tous ses dogmes en détail, et cependant on se dit encore cartésien : c’est comme si on avait dépouillé un roi de toutes ses provinces l’une après l’autre, et qu’on se dît encore son sujet.

L’auteur du nouveau livre intitulé Réfutation des Éléments de Newton[4] a ramassé toutes ces fausses accusations ; il en a composé un volume ; il a fait comme tous les critiques qui, sentant la faiblesse de leurs raisons, s’acharnent à rendre leur adversaire odieux ; il a le courage de dire, page 121, que l’auteur des Éléments a péché contre sa patrie. Mais en quoi celui qu’il attaque a-t-il commis ce grand crime envers sa patrie ? en disant que

  1. Voyez tome XXII, page 276.
  2. Quelques-unes des phrases suivantes se retrouvent dans une lettre de Voltaire à Maupertuis ; voyez la Correspondance, octobre 1738.
  3. Boerhaave était mort le 23 septembre 1738.
  4. Jean Banières. Son ouvrage est intitulé Examen et Réfutation des Éléments de la philosophie de Newton.