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DÉFENSE DU NEWTONIANISME.

est à quarante pieds ; je dis que les voyant tous deux à la fois, si l’angle sous lequel tous les voyez s’agrandit ou diminue, il s’agrandit ou diminue également pour tous deux ; je dis donc que ce problème est insoluble aux règles de l’optique.

Personne n’a répondu, et l’on ose dire que personne ne pourra répondre à cet argument.

Qu’a-t-on donc fait ? On a prétendu jeter un ridicule sur l’expression ; les censeurs ont dit qu’il n’était pas absolument vrai qu’un homme distant de 30 pieds trace dans votre rétine un angle précisément 30 fois plus petit qu’à un pied ; non, cela n’est pas absolument vrai ; sans doute, on le sait bien. Mais 1o la différence est si petite qu’elle ne change en rien l’état de la question ; quand cet angle ne serait que 26 ou 27 fois plus petit, le phénomène et la difficulté ne subsistent-ils pas ? Ce cas est précisément le même que celui de deux hommes qui partiraient au même moment de Paris, et qui iraient d’un pas égal, l’un à Saint-Denis, l’autre à Orléans. Si quelqu’un vous dit qu’il faut trente fois plus de temps à l’un qu’à l’autre, serez-vous bien venu à prétendre que sa proposition est ridicule, sous prétexte qu’il s’en faut quelques pas qu’il n’y ait une lieue complète de Paris à Saint-Denis ? D’ailleurs ces critiques ne savaient pas que par angle l’on n’entend ici que les diamètres apparents, qui sont réellement en raison réciproque des distances.

La plupart des objections que l’on a faites contre les Éléments de Newton sont dans ce goût, et ceux que la passion de critiquer domine, n’ayant pas de meilleures raisons à dire, ont eu recours aux injures, selon l’usage ; ils ont voulu faire un crime à l’auteur d’avoir enseigné des vérités découvertes en Angleterre ; ils lui ont reproché l’esprit de parti, à lui qui n’a jamais été d’aucun parti ; ils ont prétendu que c’est être mauvais Français que de n’être pas cartésien. Quelle révolution dans les opinions des hommes ! La philosophie de Descartes fut proscrite en France, tandis qu’elle avait l’apparence de la vérité, et que ses hypothèses ingénieuses n’étaient point démenties par l’expérience ; et aujourd’hui que nos yeux nous démontrent ses erreurs, il ne sera pas permis de les abandonner !

Quoi ! les noms de Descartes et de Newton deviendront des mots de ralliement ! et on se passionnera toujours quand il ne faut que s’instruire ? Qu’importent les noms ? qu’importent les lieux où les vérités ont été découvertes ? Il ne s’agit ici que d’expériences et de calculs, et non de chefs de parti.

Je rends autant de justice à Descartes que ses sectateurs : je