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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

lieu d’examiner si c’est avec succès) ; il sollicite enfin son retour à Paris et sa grâce ; il veut apaiser le public et la justice ; on le voit prosterné au pied des autels, et dans le même temps il trempe dans le fiel sa main moribonde. À l’âge de soixante et douze ans il fait de nouveaux vers satiriques ; il les envoie à un homme qui tient un bureau public de ces horreurs[1] ; on les imprime. Les voici. La meilleure censure qu’on en puisse faire, c’est de les rapporter.

              Petit rimeur anti-chrétien[2]
              On reconnaît dans tes ouvrages
              Ton caractère et non le mien.
Ma principale faute, hélas ! je m’en souvien,
Vint d’un cœur qui, séduit par tes patelinages,
Crut trouver un ami dans un parfait vaurien.
              Charme des fous, horreur des sages,
Quand par lui mon esprit aveuglé, j’en convien,
              Hasardait pour toi ses suffrages ;
              Mais je ne me reproche rien
              Que d’avoir sali quelques pages
              D’un nom aussi vil que le tien.

Un pareil exemple prouve bien que quand on n’a pas travaillé de bonne heure à dompter la perversité de ses penchants, on ne se corrige jamais ; et que les inclinations vicieuses augmentent encore à mesure que la force d’esprit diminue.

DES SATIRES NOMMÉES CALOTTES.

Au milieu des délices pour lesquelles seules on semble respirer à Paris, la médisance et la satire en ont corrompu souvent la douceur. L’on y change de mode dans l’art de médire et de nuire comme dans les ajustements. Aux satires en vers alexandrins succédèrent les couplets ; après les couplets vinrent ce qu’on appelle les calottes. Si quelque chose marque sensiblement la décadence du goût en France, c’est cet empressement qu’on a eu pour ces misérables ouvrages. Une plaisanterie ignoble, toujours répétée, toujours retombant dans les mêmes tours, sans esprit, sans imagination, sans grâce, voilà ce qui a occupé Paris pendant quelques

  1. Desfontaines, qui a imprimé dans la Voltairomanie plusieurs pièces de vers de J.-B. Rousseau.
  2. Cette épigramme, déjà rapportée par Voltaire dans le Mémoire qui précède, page 41, ne se trouve pas dans les Œuvres de J.-B. Rousseau.