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DU DOCTEUR AKAKIA.

ser quelques cabales dangereuses ; mais aussi nous avons considéré que les écoliers et les régents pourraient se passer de chemises, comme les anciens Romains, et même de cuisinières ; et c’est ce que nous examinerons plus à loisir, quand nous aurons appris le latin à fond.

6o Si jamais nous traitons de l’accouplement et du fœtus, nous promettons d’étudier auparavant l’anatomie, de ne plus recommander l’ignorance aux médecins, de ne plus envier le sort des colimaçons et de ne plus leur dire ces douces paroles : « Innocents colimaçons, recevez et rendez mille fois les coups de ces dards dont la nature vous a armés ; ceux qu’elle a réservés pour nous sont des soins et des regards » ; attendu que cette phrase est fort mauvaise, et qu’un soin réservé n’est pas un dard, et que ces expressions ne sont point académiques.

7o Nous ne porterons plus envie aux crapauds, et nous n’en parlerons plus en style de bergerie, vu que Fontenelle, que nous avons cru imiter, n’a point chanté les crapauds, dans ses églogues,

8o Nous laissons à Dieu le soin de créer les hommes comme bon lui semble, sans jamais nous en mêler ; et chacun sera libre de ne pas croire que, dans l’utérus, l’orteil droit attire l’orteil gauche, ni que la main se mette au bout du bras par attraction.

9o Si nous allons aux terres Australes, nous promettons à l’Académie de lui amener quatre géants hauts de douze pieds, et quatre hommes velus avec de longues queues ; nous les ferons disséquer tout vivants, sans prétendre pour cela connaître mieux la nature de l’âme que nous ne la connaissons aujourd’hui ; mais il est toujours bon, pour le progrès des sciences, d’avoir de grands hommes à disséquer.

10o Si nous allons tout droit par mer au pôle arctique, nous ne forcerons personne à être du voyage, excepté M. De…[1], qui nous a déjà suivi dans des pays à lui inconnus.

11o À l’égard du trou que nous voulions percer jusqu’au noyau de la terre, nous nous désistons formellement de cette entreprise : car, quoique la vérité soit au fond d’un puits, ce puits

  1. Je présume que Voltaire désigne ici Mérian, qui est cité indirectement plus bas, et auquel on donnait quelquefois le De. (Cl.) — Mérian (J.-B.), né à Bâle en 1723, à qui Maupertuis procura, en 1750, une petite pension et une place à l’Académie. Ses études spéciales étaient la métaphysique et la philologie ; et cependant il fut rapporteur à l’Académie de Berlin dans la querelle entre Koenig et Maupertuis sur un point de mathématiques, pays à lui inconnus. Il est mort le 12 février 1807. (B.)