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DU DOCTEUR AKAKIA.

l’accouplement d’un coq d’Inde et d’une mule dans la cour de l’Académie ; et tandis que le poète du corps composait leur épithalame, le président, qui est galant, fit servir aux dames une superbe collation, composée de pâtés d’anguilles[1], toutes les unes dans les autres, et nées subitement par un mélange de farine délayée. Il y avait de grands plats de poissons qui se formaient sur-le-champ de grains de blé germé, à quoi les dames prirent un singulier plaisir. Le président, ayant bu un verre de rogomme, démontra à l’assemblée qu’il était aussi aisé à l’âme de voir l’avenir que le passé ; et alors il se frotta les lèvres avec sa langue, remua longtemps la tête, exalta son imagination, et prophétisa. On ne donne point ici sa prophétie, qui se trouvera tout entière dans l’almanach de l’Académie.

La séance se termina par un discours très-éloquent que prononça le secrétaire perpétuel[2]. « Il n’y a qu’un Érasme[3], lui dit-il, qui dût faire votre éloge. » Ensuite il éleva la monade du président jusqu’aux nues, ou du moins jusqu’aux brouillards. Il le mit hardiment à côté de Cyrano de Bergerac. On lui érigea un trône de vessies, et il partit le lendemain pour la lune, où Astolphe retrouva, dit-on, ce que le président a perdu[4].

N. B. Le natif de Saint-Malo ne partit point pour la lune, comme il le croyait ; il se contenta d’y aboyer. Le bon docteur Akakia, voyant que le mal empirait, imagina, avec quelques-uns de ses confrères, d’adoucir l’âcreté des humeurs, en réconciliant le président avec le docteur helvétien qui lui avait tant déplu en lui montrant sa mesure. Le médecin, croyant que l’antipathie était un mal qu’on pouvait guérir, proposa donc le traité de paix suivant :


TRAITÉ DE PAIX
CONCLU ENTRE M.  LE PRÉSIDENT ET M.  LE PROFESSEUR[5]
LE 1er JANVIER 1753[6].

Toute l’Europe ayant été en alarmes dans la dangereuse querelle sur une formule d’algèbre, etc., les deux parties princi-

  1. Pages 143 et 180. (Note de Voltaire.)
  2. Formey, que Voltaire un peu plus loin (voyez page 584) appelle secrétaire éternel. Il a fait les éloges de beaucoup de ses confrères. En 1760, il prononça et fit imprimer l’Éloge de Maupertuis. (B.)
  3. Qui, comme on sait, a fait l’Éloge de la Folie.
  4. Voyez le chant XXXIV du Roland furieux d’Arioste.
  5. Koenig, professeur à la Haye. (K.)
  6. Une édition séparée de cet opuscule, intitulée Traité de paix conclu entre