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HISTOIRE

sident. Chacun ayant pris place, le président prononça l’éloge d’un membre de la compagnie mûri[1] depuis peu, parce qu’on n’avait pas eu la précaution de lui boucher les pores, et de le conserver comme un œuf frais, selon la nouvelle méthode ; il prouva que son médecin l’avait tué pour avoir aussi négligé de le traiter suivant les lois de la force centrifuge ; et il conclut que le médecin serait réprimandé, et point payé. Il finit en glissant, selon sa coutume modeste, quelques mots sur lui-même ; ensuite on procéda avec grand appareil à la vérification des expériences par lui proposées à tous les savants de l’Europe étonnée.

[2] En premier lieu, deux médecins produisirent chacun un malade enduit de poix résine, et deux chirurgiens leur percèrent les cuisses et les bras avec de longues aiguilles. Aussitôt les patients, qui à peine pouvaient remuer auparavant, se mirent à courir et à crier de toutes leurs forces ; et le secrétaire en chargea ses registres.

[3] L’apothicaire approcha avec un grand pot d’opium, et le plaça sur un volume de la composition du président pour en redoubler la force, et on en fit prendre une dose à un jeune homme vigoureux. Et voici, au grand étonnement de tout le monde, qu’il s’endormit, et dans son sommeil il eut un rêve heureux qui fit peur aux dames accourues à cette solennité ; et la nature de l’âme fut parfaitement connue, comme M. le président l’avait très-bien deviné.

Ensuite se présentèrent tous les manœuvres de la ville pour faire vite un trou qui allât jusqu’au centre de la terre, selon les ordres précis de M. le président[4]. Sa vue portait jusque-là ; mais comme l’opération était un peu longue, on la remit à une autre fois ; et M. le secrétaire perpétuel donna rendez-vous aux ouvriers avec les maçons de la tour de Babel.

Aussitôt après, le président ordonna qu’on frétât un vaisseau pour disséquer des géants et des hommes velus à longue queue aux terres Australes[5] ; il déclara qu’il serait lui-même du voyage, et qu’il irait respirer son air natal ; sur quoi toute l’assemblée battit des mains.

On procéda ensuite par son ordre, et selon ses principes, à

  1. Page 76. Voyez les Lettres de M. le président. (Note de Voltaire.) — C’est-à-dire, décédé. (K.) — On trouve dans les Œuvres de Maupertuis, Dresde, 1752, in-4o, un Éloge de M. le maréchal de Schmettau (mort le 18 août 1751), qui avait été lu dans la séance de l’Académie de Berlin du 1er juin 1752, et dont le docteur Akakia parle dans la lettre qui termine cette Histoire. (B.)
  2. Page 206. (Note de Voltaire.)
  3. Page 223. (id.)
  4. Page 174. (Note de Voltaire.)
  5. Page 172. (id.)