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PENSÉES

VII. (V en 1752 et 1754.)

La liberté consiste à ne dépendre que des lois. Sur ce pied, chaque homme est libre aujourd’hui en Suède, en Angleterre, en Hollande, en Suisse, à Genève, à Hambourg ; on l’est même à Venise et à Gênes, quoique ce qui n’est pas du corps des souverains y soit avili[1], Mais il y a encore des provinces et de vastes royaumes chrétiens où la plus grande partie des hommes est esclave.

VIII. (VI.)

Un temps viendra dans ces pays où quelque prince plus habile que les autres fera comprendre aux cultivateurs des terres qu’il n’est pas tout à fait à leur avantage qu’un homme qui a un cheval ou plusieurs chevaux, c’est-à-dire un noble, ait le droit de tuer un paysan en mettant dix écus sur sa fosse. Il est vrai que dix écus sont beaucoup pour un homme né dans un certain climat ; mais ils démêleront dans la suite des siècles que c’est fort peu pour un mort. Alors il pourra se faire que les communes aient part au gouvernement, et que l’administration anglaise et suédoise s’établisse dans le voisinage de la Turquie.

    XV.

    « Les philosophes, n’ayant aucun intérêt particulier, ne peuvent parler qu’en faveur de la raison et de l’intérêt public.

    XVI.

    » Les philosophes aiment la religion ; et ils rendent service aux princes en détruisant la superstition, qui est toujours l’ennemie des princes.

    XVII.

    « C’est la superstition qui a fait assassiner Henri III, Henri IV. Guillaume prince d’Orange, et tant d’autres. C’est elle qui a fait couler des rivières de sang depuis Constantin.

    XVIII.

    « La superstition est le plus horrible ennemi du genre humain. Quand elle domine le prince, elle l’empêche de faire le bien de son peuple ; quand elle domine le peuple, elle le soulève contre son prince.

    XIX.

    « Il n’y a pas un seul exemple sur la terre de philosophes qui se soient opposés aux lois du prince. Il n’y a pas un seul siècle où la superstition et l’enthousiasme n’aient causé des troubles qui font horreur. »

    Des éditeurs de Kehl ont supprimé ces treize paragraphes comme répétition de ce qu’on lit dans la Voix du Sage, etc. (Voyez pages 468-469.) (B.)

  1. Dans les éditions de 1752 et 1754, on lisait de plus cette phrase : « On est libre dans quelques villes impériales d’Allemagne. » (B.)