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MÉMOIRE DU SIEUR DE VOLTAIRE.

source de sa haine contre le sieur de Voltaire vient en partie de ce que le sieur de Voltaire l’avait voulu détruire dans l’esprit de M. le prince d’Aremberg[1]. Nous ne répondrons jamais que par pièces justificatives ; nous n’opposerons à cette calomnie du sieur Rousseau que la lettre[2] même de ce prince à M. de Voltaire, déjà rapportée dans le journal de Dusauzet[3], mais peu connue en France.


À Enghien, ce 8 septembre 1736.

Au reste, je suis très-surpris et très-indigné que Rousseau ait osé me citer dans l’article de la Bibliothèque française qui vous regarde ; ce que je puis vous assurer, c’est qu’il me fait parler très-faussement. Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,


« Le duc d’Aremberg. »

S’il est vrai que cette imposture détermina ce prince à bannir le sieur Rousseau du petit hôtel d’Aremberg, on ne désire point que ceux qui daignent le recueillir encore en usent de même. On lui souhaite seulement de longs remords dans une vie longue, et dont les derniers jours soient moins orageux. M. de Voltaire, qui a dû se venger, saurait lui pardonner s’il se rétractait de bonne foi, s’il pouvait enfin ouvrir les yeux, et se souvenir efficacement de ce beau vers de Boileau (sat. XI, v. 34) :


Pour paraître honnête homme, en un mot, il faut l’être.

Plût à Dieu que ces querelles si déshonnêtes pussent aussi aisément s’éteindre qu’elles ont été allumées ! Plût à Dieu qu’elles fussent oubliées à jamais ! Mais le mal est fait, il passera peut-être à la postérité ; que le repentir aille donc jusqu’à elle : il est bien tard, mais n’importe ; il y a encore pour le sieur Rousseau quelque gloire à se repentir. Peut-être même, si nos fautes et nos malheurs peuvent corriger les autres hommes, naîtra-t-il quelque avantage de ces tristes querelles dont le sieur Rousseau a fatigué deux générations d’hommes. Cet avantage que j’espère de ce fléau malheureux, c’est que les gens de lettres en sentiront mieux le prix de la paix et l’horreur de la satire, et qu’il arrivera

  1. À Bruxelles.
  2. Elle a été aussi déposée. (Note de Voltaire.)
  3. Bibliothèque française, tome XXIV, page 157.