paraître supérieur à cette gloire véritable, la seule récompense de ceux qui servent le public, la seule digne des grandes âmes, qu’il est beau de rechercher, et qu’on n’affecte de dédaigner que quand on est incapable d’y atteindre.
C’est ce soin qu’elle avait de sa réputation qui la détermina, quelques jours avant sa mort, à déposer à la Bibliothèque du roi son livre tout écrit de sa main.
Elle joignit à ce goût pour la gloire une simplicité qui ne l’accompagne pas toujours, mais qui est souvent le fruit des études sérieuses. Jamais femme ne fut si savante qu’elle, et jamais personne ne mérita moins qu’on dît d’elle : C’est une femme savante. Elle ne parlait jamais de science qu’à ceux avec qui elle croyait pouvoir s’instruire, et jamais elle n’en parla pour se faire remarquer. On ne la vit point rassembler de ces cercles où il se fait une guerre d’esprit, où l’on établit une espèce de tribunal, où l’on juge son siècle, par lequel en récompense on est jugé très-sévèrement. Elle a vécu longtemps dans des sociétés où l’on ignorait ce qu’elle était, et elle ne prenait pas garde à cette ignorance.
Les dames qui jouaient avec elle chez la reine étaient bien loin de se douter qu’elles fussent à côté du commentateur de Newton : on la prenait pour une personne ordinaire ; seulement on s’étonnait quelquefois de la rapidité et de la justesse avec laquelle on la voyait faire les comptes et terminer les différends ; dès qu’il y avait quelque combinaison à faire, la philosophe ne pouvait plus se cacher. Je l’ai vue un jour diviser jusqu’à neuf chiffres par neuf autres chiffres, de tête et sans aucun secours, en présence d’un géomètre étonné qui ne pouvait la suivre.
Née avec une éloquence singulière, cette éloquence ne se déployait que quand elle avait des objets dignes d’elle ; ces lettres où il ne s’agit que de montrer de l’esprit, ces petites finesses, ces tours délicats que l’on donne à des pensées ordinaires, n’entraient pas dans l’immensité de ses talents. Le mot propre, la précision, la justesse, et la force, étaient le caractère de son éloquence. Elle eût plutôt écrit comme Pascal et Nicole que comme Mme de Sévigné ; mais cette fermeté sévère et cette trempe vigoureuse de son esprit ne la rendaient pas inaccessible aux beautés de sentiment. Les charmes de la poésie et de l’éloquence la pénétraient, et jamais oreille ne fut plus sensible à l’harmonie. Elle savait par cœur les meilleurs vers, et ne pouvait souffrir les médiocres. C’était un avantage qu’elle eut sur Newton d’unir à la profondeur de la philosophie le goût le plus vif et le plus délicat