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ÉLOGE HISTORIQUE

diges : l’un, que Newton ait fait cet ouvrage ; l’autre, qu’une dame l’ait traduit et l’ait éclairci.

Ce n’était pas son coup d’essai ; elle avait auparavant donné au public une explication de la philosophie de Leibnitz, sous le titre d’Institutions de physique adressées à son fils, auquel elle avait enseigné elle-même la géométrie.

Le discours préliminaire qui est à la tête de ces Institutions est un chef-d’œuvre de raison et d’éloquence ; elle a répandu dans le reste du livre une méthode et une clarté que Leibnitz n’eut jamais, et dont ses idées ont besoin, soit qu’on veuille seulement les entendre, soit qu’on veuille les réfuter.

Après avoir rendu les imaginations de Leibnitz intelligibles, son esprit, qui avait acquis encore de la force et de la maturité par ce travail même, comprit que cette métaphysique si hardie, mais si peu fondée, ne méritait pas ses recherches : son âme était faite pour le sublime, mais pour le vrai. Elle sentit que les monades et l’harmonie préétablie devaient être mises avec les trois éléments de Descartes, et que des systèmes qui n’étaient qu’ingénieux n’étaient pas dignes de l’occuper. Ainsi, après avoir eu le courage d’embellir Leibnitz, elle eut celui de l’abandonner : courage bien rare dans quiconque a embrassé une opinion, mais qui ne coûta guère d’efforts à une âme passionnée pour la vérité.

Défaite de tout esprit de système, elle prit pour sa règle celle de la Société royale de Londres, nullius in verba[1] ; et c’est parce que la bonté de son esprit l’avait rendue ennemie des partis et des systèmes qu’elle se donna tout entière à Newton. En effet, Newton ne fit jamais de système, ne supposa jamais rien, n’enseigna aucune vérité qui ne fût fondée sur la plus sublime géométrie, ou sur des expériences incontestables. Ses conjectures qu’il a hasardées à la fin de son livre, sous le nom de Recherches, ne sont que des doutes : il ne les donne que pour tels, et il serait presque impossible que celui qui n’avait jamais affirmé que des vérités évidentes n’eût pas douté de tout le reste.

Tout ce qui est donné ici pour principe est en effet digne de ce nom : ce sont les premiers ressorts de la nature, inconnus avant lui, et il n’est plus permis de prétendre être physicien sans les connaître.

Il faut donc bien se garder d’envisager ce livre comme un

  1. Cette devise de la Société royale de Londres rappelle ce vers d’Horace (livre Ier, épître i, 14) :

    Nullius addictus juraro in verba magistri.