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DE LENCLOS.

que son ancienne amie, elle ne se plaignit jamais de son état, et Mme de Maintenon se plaignit quelquefois du sien.

Elle ne pouvait pas souffrir les ivrognes, qui étaient encore un peu à la mode de son temps. Chapelle, qui l’était, et qu’elle ne put corriger, fut exclu de sa maison, et devint son ennemi. Il jura que, pendant un mois entier, il ne se coucherait jamais sans être ivre, et sans avoir fait une chanson contre elle. Il tint parole. Voici une de ces chansons dont je me souviens :


Il ne faut pas qu’on s’étonne
Si parfois elle raisonne
De la sublime vertu
Dont Platon fut revêtu ;
Car, à bien compter son âge,
Elle doit avoir… vécu
Avec ce grand personnage.


Elle répondit à cela qu’elle aurait beaucoup mieux aimé coucher avec Platon qu’avec Chapelle.

Sa maison était sur la fin une espèce de petit hôtel de Rambouillet, où l’on parlait plus naturellement, et où il y avait un peu plus de philosophie que dans l’autre. Les mères envoyaient soigneusement à son école les jeunes gens qui voulaient entrer avec agrément dans le monde. Elle se plaisait à les former. Rémond, que nous avons vu introducteur des ambassadeurs, et qui prétendait être un grand platonicien, se vantait souvent de devoir à Mlle de Lenclos tout le mérite qu’il avait. En effet, il avait un mérite assez singulier. C’est sur lui que Périgny avait fait cette chanson :


De monsieur Rémond voici le portrait :
Il a tout à fait l’air d’un hareng sauret.

Il rime, il cabale,
Est homme de cour,
Se croit un Candale[1],
Se dit un Saucour[2].
Il passe en science
Socrate et Platon ;
Cependant il danse
Tout comme Balon[3].

  1. Le duc de Candale, fils du duc d’Épernon, le plus bel homme de son temps.
  2. Le marquis de Saucour passait pour l’homme le plus vigoureux, et son nom est passé en proverbe.
  3. Fameux danseur de l’Opéra.