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UN PHILOSOPHE

decin qui donnait une dose d’émétique trop forte à des malades. Ils en eurent des convulsions ; mais, parce qu’on a pris d’un bon remède, doit-on y renoncer à jamais ? Il est resté des débris de son système une compagnie des Indes qui donne de la jalousie aux étrangers, et qui peut faire la grandeur de la nation : donc ce système, contenu dans de justes bornes, aurait fait plus de bien qu’il n’a fait de mal[1].

Changer le prix des espèces, c’est faire de la fausse monnaie ; répandre dans le public plus de papier de crédit que la masse et la circulation des espèces et des denrées ne le comportent, c’est encore faire de la fausse monnaie.

Défendre la sortie des matières d’or et d’argent est un reste de barbarie et d’indigence[2] : c’est à la fois vouloir ne pas payer ses dettes et perdre le commerce. C’est en effet ne pas vouloir payer, puisque, si la nation est débitrice, il faut qu’elle solde son compte avec l’étranger ; c’est perdre le commerce, puisque l’or et l’argent sont non-seulement le prix des marchandises, mais sont marchandises eux-mêmes. L’Espagne a conservé, comme d’autres nations, cette ancienne loi, qui n’est qu’une ancienne misère. La seule ressource du gouvernement est qu’on viole toujours cette loi.

Charger de taxes dans ses propres États les denrées de son pays, d’une province à une autre ; rendre la Champagne ennemie de la Bourgogne, et la Guienne de la Bretagne, c’est encore un abus honteux et ridicule : c’est comme si je postais quelques-uns de mes domestiques dans une antichambre, pour arrêter et pour manger une partie de mon souper lorsqu’on me l’apporte. On a travaillé à corriger cet abus ; et, à la honte de l’esprit humain, on n’a pu y réussir. »

Il y avait bien d’autres idées dans les papiers du philosophe ; le ministre les goûta ; il s’en procura une copie, et c’est le premier portefeuille d’un philosophe qu’on ait vu dans le portefeuille d’un ministre.

FIN DU DIALOGUE.
  1. Alors la compagnie des Indes subsistait avec éclat, et donnait de grandes espérances. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez, tome XIV, une note des éditeurs de Kehl sur le chapitre ii du Siècle de Louis XIV ; et tome XXII, pages 303 et suiv.