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DIALOGUE
ENTRE
UN PLAIDEUR ET UN AVOCAT[1].

le plaideur.

Eh bien ! monsieur, le procès de ces pauvres orphelins ?

l’avocat.

Comment ! il n’y a que dix-huit ans que leur bien est aux saisies réelles ; on n’a mangé encore en frais de justice que le tiers de leur fortune : et vous vous plaignez !

le plaideur.

Je ne me plains point de cette bagatelle. Je connais l’usage, je le respecte ; mais pourquoi depuis trois mois que vous demandez audience n’avez-vous pu l’obtenir qu’aujourd’hui ?

l’avocat.

C’est que vous ne l’avez pas demandée vous-même pour vos pupilles. Il fallait aller plusieurs fois chez votre juge pour le supplier de vous juger.

le plaideur.

Son devoir est de rendre justice sans qu’on l’en prie. Il est bien grand de décider des fortunes des hommes sur son tribunal ; il est bien petit de vouloir avoir des malheureux dans son antichambre. Je ne vais point à l’audience de mon curé le prier de chanter sa grand’messe ; pourquoi faut-il que j’aille supplier mon juge de remplir les fonctions de sa charge ? Enfin donc, après tant de délais, nous allons être jugés aujourd’hui ?

l’avocat.

Oui ; et il y a grande apparence que vous gagnerez un chef de votre procès : car vous avez pour vous un article décisif dans Charondas.

  1. Ce dialogue se trouve dans une édition de 1751 des Œuvres de Voltaire. (B.)