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MÉMOIRE DU SIEUR DE VOLTAIRE.

jours fait, à rompre les liens d’une amitié de vingt-quatre années, qui unissent le sieur de Voltaire et le sieur Thieriot ; on ne vous répondra jamais que papiers sur table. On a une des lettres de cet ami, du 16 août 1726 ; elle est aussi déposée chez un notaire. Je passe quelques lignes qui seraient trop accablantes pour vous, vous les verrez si vous voulez : voici celles qui regardent le fait en question[1] : « Il a fait, du temps de Bicêtre, un ouvrage contre vous, intitulé Apologie de M. de Voltaire, que je l’ai forcé avec bien de la peine à jeter dans le feu. C’est lui qui a fait à Évreux une édition du poëme de la Ligue, dans laquelle il a inséré des vers contre M. de Lamotte, etc. »

Et dans une lettre récente, du 31 décembre 1738, à une autre personne, voici comment il s’exprime : « Je me souviens très-bien qu’à la Rivière-Bourdet, chez feu M. le président de Bernières, il fut question d’un écrit contre M. de Voltaire, que l’abbé Desfontaines me fit voir, et que je l’engageai de jeter au feu, etc.[2] »

Et dans une autre lettre, du 14 janvier 1739 : « Je démens les impostures d’un calomniateur, et je méprise les éloges qu’il me donne ; je témoigne ouvertement mon estime, mon amitié, et ma reconnaissance pour vous[3]. »

Il n’est donc que trop avéré, ingrat calomniateur (qu’on nous passe cette exclamation, qui échappe à la douleur) ! il n’est que trop public que le bienfait a été payé d’un libelle. Repentez-vous-en, s’il est possible ; du moins ne comblez pas la mesure de tant de méchancetés en les faisant servir à brouiller deux amis, que tant de liens unissent ; apprenez que l’amitié est presque la seule consolation de la vie, et que la détruire est un des plus grands crimes. M. de Voltaire vous dira : Continuez vos ouvrages, publiez, imprimez, réimprimez sous cent noms différents ce que

  1. Les passages que Voltaire cite ici de trois lettres sont reproduits dans le Mémoire sur la Satire.
  2. Ce texte n’est pas tout à fait celui de la lettre de Thieriot à Mme du Châtelet, du 31 décembre 1738, lettre publiée, en 1826, dans les Mémoires sur Voltaire, etc., par Longchamp et Wagnière, tome II, page 431.
  3. Avec quelle audace aveugle le sieur Desfontaines ose-t-il défier qu’on lui montre un seul exemplaire de ce libelle, intitulé Apologie ? Peut-il nier que, malgré les soins du sieur Thieriot, il n’en ait échappé quelques exemplaires ? L’abbé Desfontaines lui-même, dans un autre de ses libelles, intitulé Pantalon Phœbus, page 73, fait parler ainsi M. de Lamotte : « J’ai été bien maltraité dans un écrit intitulé Apologie de Voltaire ; ce qui me console, c’est que cet ouvrage a été supprimé. » Voilà donc l’abbé Desfontaines convaincu par lui-même. (Note de Voltaire.) — C’est au nombre 64 du Pantalon Phœbeana, imprimé à la suite du Dictionnaire néologique, qu’est la phrase citée par Voltaire dans cette note. (B.)