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LA VOIX DU SAGE

Les philosophes, n’ayant aucun intérêt particulier, ne peuvent parler qu’en faveur de la raison et de l’intérêt public.

Les philosophes rendent service au prince en détruisant la superstition, qui est toujours l’ennemie des princes.

C’est la superstition qui a fait assassiner Henri III, Henri IV, Guillaume prince d’Orange, et tant d’autres ; c’est elle qui a fait couler des rivières de sang depuis Constantin.

La superstition est le plus horrible ennemi du genre humain ; quand elle domine le prince, elle l’empêche de faire le bien de son peuple ; quand elle domine le peuple, elle le soulève contre son prince.

Il n’y a pas sur la terre un seul exemple de philosophes qui se soient opposés aux lois du prince : il n’y a pas un seul siècle où la superstition et l’enthousiasme n’aient causé des troubles qui font horreur.

Il n’y a pas un seul exemple de trouble et de dissension quand le prince a été le maître absolu de la police ecclésiastique : il n’y a que des exemples de désordres et de calamités quand les ecclésiastiques n’ont pas été entièrement soumis au prince.

Ce qui peut arriver de plus heureux aux hommes, c’est que le prince soit philosophe.

Le prince philosophe sait que plus la raison fera de progrès dans ses États, moins les disputes, les querelles théologiques, l’enthousiasme, la superstition, feront de mal : il encouragera donc les progrès de la raison.

Ces progrès seuls suffiront pour anéantir, par exemple, dans quelques années, toutes les disputes sur la grâce ; parce que le nombre des hommes raisonnables étant augmenté, le nombre des esprits de travers, qui se nourrissent d’opinions absurdes, diminuera.

Ce qu’on appelle un janséniste est réellement un fou, un mauvais citoyen, et un rebelle. Il est fou, parce qu’il prend pour des vérités démontrées des idées particulières. S’il se servait de sa raison, il verrait que les philosophes n’ont jamais disputé ni pu disputer sur une vérité démontrée ; s’il se servait de sa raison, il verrait qu’une secte qui mène à des convulsions est une secte de fous. Il est mauvais citoyen, parce qu’il trouble l’ordre de l’État. Il est rebelle, parce qu’il désobéit.

Les molinistes sont des fous plus doux. Il ne faut être ni à Apollos ni à Céphas, mais à Dieu et au roi. Il est certain que plus il y aura de philosophes, plus les fous seront à portée d’être guéris.