Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
449
DU CARDINAL DE RICHELIEU.

oubliant le temps dont il parle, peut tomber dans cette absurdité énorme ; mais un premier ministre, quand il fait la guerre, ne peut pas assurément dire que la paix est conclue. Jamais la guerre ne fut plus vive contre la maison d’Autriche, quoique toutes les puissances négociassent, ou plutôt parce qu’elles négociaient. Il est vrai qu’en 1641 on jeta quelques fondements des traités de Munster, qui ne furent consommés qu’en 1648 ; et l’auteur du testament fait parler le cardinal de Richelieu tantôt en 1640, tantôt en 1635. Le cardinal ne pouvait ni supposer la paix faite au milieu de la guerre, ni dire des injures atroces aux Espagnols avec lesquels il voulait traiter.

XIII. Faudra-t-il à cette preuve palpable de l’imposture ajouter une bévue, moins forte à la vérité, mais qui ne décèle pas moins un menteur ignorant ? Il fait dire à un premier ministre tel que le cardinal, dans ce même premier chapitre, que « le roi a refusé le secours des armes ottomanes contre la maison d’Autriche ».

S’il s’agit d’un secours que le Turc voulait envoyer aux armées françaises, le fait est faux, et l’idée en est ridicule : s’il s’agit d’une diversion des Turcs en Hongrie ou ailleurs, quiconque connaît le monde, quiconque a la moindre idée du cardinal de Richelieu, sait assez que de telles offres ne se refusent pas.

XIV. Comme il paraît par le premier chapitre que l’imposteur écrivait après la paix des Pyrénées, dont il avait l’imagination remplie, il paraît par le second qu’il écrivait après la réforme que fit Louis XIV dans toutes les parties de l’administration. « Je me souviens que j’ai vu dans ma jeunesse, dit-il, les gentilshommes et autres personnes laïques posséder par confidence non-seulement la plus grande partie des prieurés et abbayes, mais aussi des cures et évêchés. Maintenant les confidences… sont plus rares que les légitimes possessions l’étaient en ce temps-là. » Or il est certain que dans les derniers temps de l’administration du cardinal, rien n’était plus commun que de voir des laïques posséder des bénéfices. Lui-même avait fait donner cinq abbayes au comte de Soissons, qui fut tué à la Marfée ; M. de Guise en possédait onze : le duc de Verneuil avait l’évêché de Metz ; le prince de Conti eut l’abbaye de Saint-Denis en 1641 ; le duc de Nemours eut l’abbaye de Saint-Remy de Reims ; le marquis de Tréville, celle de Moutier-Ender, sous le nom de son fils ; enfin le garde des sceaux Châteauneuf conserva plusieurs abbayes jusqu’à sa mort, arrivée en 1643 ; et on peut juger si cet exemple était suivi. Le nombre des laïques qui jouissent de ces revenus de l’État est in-