Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
445
DU CARDINAL DE RICHELIEU.

comme je l’ai déjà remarqué ailleurs[1], était tenu surtout de constater l’authenticité de ce manuscrit, sans quoi il se déclarait indigne de toute croyance. Aucune de ces conditions, absolument nécessaires à l’authenticité d’un tel livre, n’a été remplie ; et même pendant vingt-quatre années entières, depuis la prétendue date du manuscrit, ni la cour, ni la ville, ni aucun livre, ni aucun journal, ne fit la moindre mention que le cardinal eût laissé au roi un testament politique.

V. Comment en effet le cardinal de Richelieu, qui, comme on sait, avait plus de peine à gouverner le roi son maître qu’à tenir le timon de la France, aurait-il eu le dessein et le loisir de faire un tel ouvrage pour l’usage de Louis XIII ? L’auteur du nouvel Abrégé chronologique de l’Histoire de France[2], qui peint si bien les siècles et les hommes, avoue dans ce livre si utile que le cardinal de Richelieu avait « autant à craindre du roi, pour qui il risquait tout, que du ressentiment de ceux qu’il forçait d’obéir » : les aigreurs, les défiances, les mécontentements réciproques, allaient tous les jours si loin entre le roi et le ministre que le grand écuyer Cinq-Mars proposa au roi d’assassiner le cardinal de Richelieu comme le maréchal d’Ancre, et s’offrit pour l’exécution ; c’est ce que Louis XIII dit lui-même dans une lettre au chancelier Séguier, après la conspiration de Cinq-Mars. Le roi avait donc mis son favori à portée de lui faire cette proposition étrange. Est-ce dans une telle situation qu’on se donne la peine de faire pour un roi d’un âge mûr, qu’on redoute et dont on est redouté, un recueil de préceptes qu’un père oisif pourrait tout au plus laisser à son fils encore dans l’enfance ? Il me semble que le cœur humain n’est point fait ainsi. Cette raison ne sera pas d’un grand poids auprès d’un savant ; mais elle fait impression sur ceux qui connaissent les hommes.

VI. Supposons pourtant qu’un homme tel que le cardinal de Richelieu eût voulu donner en effet au roi son maître des conseils pour gouverner après sa mort, comme il lui en avait donné pendant sa vie : quel est l’homme qui, en ouvrant ce livre, ne s’attendra pas à voir tous les secrets du cardinal de Richelieu développés, et la grandeur et la hardiesse de son génie respirant dans son testament ? Qui ne se flattera pas de lire des conseils fins et hardis, convenables à l’état présent de l’Europe, à celui de la France, de la cour, et surtout du monarque ? Par le premier cha-

  1. Voyez la note et la variante, pages 429-432.
  2. Le président Hénault. Son Abrégé avait paru en 1744.