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TESTAMENT POLITIQUE DE RICHELIEU.

Louis XIV dans Gusman d’Alfarache, ou dans Gil Blas. Mais, me dira-t-on, que gagnerez-vous à détromper les hommes sur ces bagatelles ? Je ne gagnerai rien, sans doute ; mais il faut s’accoutumer à chercher le vrai dans les plus petites choses : sans cela on est bien trompé dans les grandes.


RAISONS[1]

DE CROIRE QUE LE LIVRE INTITULÉ

TESTAMENT POLITIQUE DU CARDINAL DE RICHELIEU

EST UN OUVRAGE SUPPOSÉ.

Mon zèle pour la vérité, mon emploi d’historiographe de France[2], qui m’oblige à des recherches historiques ; mes sentiments de citoyen ; mon respect pour la mémoire du fondateur d’un corps dont je suis membre[3] ; mon attachement aux héritiers de son nom et de son mérite : voilà mes motifs pour chercher à détromper ceux qui attribuent au cardinal de Richelieu un livre qui m’a paru n’être ni pouvoir être de ce ministre.

I. Le titre même est très-suspect ; un homme qui parle à son maître n’intitule guère ses conseils respectueux du nom fastueux de Testament politique. À peine le cardinal de Richelieu fut-il mort qu’il courut cent manuscrits pour et contre sa mémoire : j’en ai deux sous le titre de Testamentum christianum, et deux sous celui de Testamentum politicum : voilà probablement l’origine de tous les testaments politiques qu’on a fabriqués depuis.

II. Si un ouvrage dans lequel un des plus grands hommes d’État qu’ait jamais eus l’Europe est supposé rendre compte de son administration à son maître, et lui donner des conseils pour le présent et pour l’avenir, eût été en effet composé par ce ministre, il eût pris probablement toutes les mesures possibles pour qu’un tel monument ne fût pas négligé ; il l’eût revêtu de la forme la plus authentique ; il en eût parlé dans son vrai testament, qui contient ses dernières volontés ; il l’eût légué au roi, comme un présent beaucoup plus précieux que le Palais-Car-

  1. Ce qui suit formait, en 1750, comme on l’a dit page 427, le chapitre iii.
  2. Voltaire était, depuis 1746, historiographe de France.
  3. Le cardinal de Richelieu fonda, en 1635 (voyez tome XVI, page 31) l’Académie française, dont Voltaire était membre depuis 1746 (voyez dans ce volume, page 205).