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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

mois ou deux. J’ai ouï conter à M.  le chevalier Walpole qu’un jour un de ces Démosthènes à deux sous par feuille, n’ayant point encore pris de parti dans les différends du parlement, vint lui offrir sa plume pour écraser tous ses ennemis ; le ministre le remercia poliment de son zèle, et n’accepta point ses services. « Vous trouverez donc bon, lui dit l’écrivain, que j’aille offrir mon secours à votre antagoniste M. Pulteney. » Il y alla aussitôt, et fut éconduit de même. Alors il se déclara contre l’un et l’autre ; il écrivait le lundi contre M. Walpole, et le mercredi contre M. Pulteney. Mais, après avoir subsisté honorablement les premières semaines, il finit par demander l’aumône à leurs portes.

XVIII. Le célèbre Pope fut traité de son temps comme un ministre ; sa réputation fit juger à beaucoup de gens de lettres qu’il y aurait quelque chose à gagner avec lui. On imprima à son sujet, pour l’honneur de la littérature, et pour avancer les progrès de l’esprit humain, plus de cent libelles, dans lesquels on lui prouvait qu’il était athée, et (ce qui est plus fort en Angleterre) on lui reprocha d’être catholique. On assura, quand il donna sa traduction d’Homère, qu’il n’entendait point le grec, parce qu’il était puant et bossu. Il est vrai qu’il était bossu ; mais cela n’empêchait pas qu’il ne sût très-bien le grec, et que sa traduction d’Homère ne fût fort bonne. On calomnia ses mœurs, son éducation, sa naissance ; on s’attaqua à son père et à sa mère. Ces libelles n’avaient point de fin. Pope eut quelquefois la faiblesse de répondre ; cela grossit la nuée des libelles. Enfin il prit le parti de faire imprimer lui-même un petit abrégé de toutes ces belles pièces. Ce fut un coup mortel pour les écrivains qui jusque-là avaient vécu assez honnêtement des injures qu’ils lui disaient ; on cessa de les lire, et on s’en tint à l’abrégé : ils ne s’en relevèrent pas.

XIX. J’ai été tenté d’avoir beaucoup de vanité, quand j’ai vu que nos grands écrivains en usaient avec moi comme on en avait agi avec Pope. Je puis dire que j’ai valu des honoraires assez passables à plus d’un auteur. J’avais, je ne sais comment, rendu à l’illustre abbé Desfontaines un léger service ; mais, comme ce service ne lui donnait pas de quoi vivre, il se mit d’abord un peu à son aise, au sortir de la maison dont je l’avais tiré, par une douzaine de libelles contre moi, qu’il ne fit, à la vérité, que pour l’honneur des lettres et par un excès de zèle pour le bon goût. Il fit imprimer la Henriade, dans laquelle il inséra des vers de sa façon[1] ;

  1. Voyez tome VIII, page 13, la préface de Marmontel pour la Henriade ; et dans le présent volume, pages 39 et 63.