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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

XII. On vient de réimprimer dans les Transactions de l’Europe qu’à la bataille de Fontenoy nous chargions nos canons avec de gros morceaux de verre et des métaux venimeux ; que le général Campbell ayant été tué d’une de ces volées empoisonnées, le duc de Cumberland envoya au roi de France, dans un coffre, le verre et les métaux qu’on avait trouvés dans sa plaie ; qu’il mit dans ce coffre une lettre, dans laquelle il disait au roi que les nations les plus barbares ne s’étaient jamais servies de pareilles armes ; et que le roi frémit à la lecture de cette lettre. Il n’y a nulle ombre de vérité ni de vraisemblance à tout cela. On ajoute à ces absurdes mensonges que nous avons massacré de sang-froid les Anglais blessés qui restèrent sur le champ de bataille, tandis qu’il est prouvé par les registres de nos hôpitaux que nous eûmes soin d’eux comme de nos propres soldats. Ces indignes impostures prennent crédit dans plusieurs provinces de l’Europe, et servent d’aliment à la haine des nations[1].

XIII. Combien de mémoires secrets, d’histoires de campagnes, de journaux de toutes les façons, dont les préfaces annoncent l’impartialité la plus équitable, et les connaissances les plus parfaites ! On dirait que ces ouvrages sont faits par des plénipotentiaires à qui les ministres de tous les États et les généraux de toutes les armées ont remis leurs mémoires. Entrez chez un de ces grands plénipotentiaires, vous trouverez un pauvre scribe en robe de chambre et en bonnet de nuit, sans meubles et sans feu, qui compile et qui altère des gazettes. Quelquefois ces messieurs prennent une puissance sous leur protection ; on sait le conte qu’on a fait d’un de ces écrivains, qui, à la fin d’une guerre, demanda une récompense à l’empereur Léopold pour lui avoir entretenu, sur le Rhin, une armée complète de cinquante mille hommes pendant cinq ans. Ils déclarent aussi la guerre, et font des actes d’hostilité ; mais ils risquent d’être traités en ennemis. Un d’eux, nommé Dubourg, qui tenait son bureau dans Francfort, y fut malheureusement arrêté par un officier de notre armée, en 1748, et conduit au mont Saint-Michel dans une cage. Mais cet exemple n’a point refroidi le magnanime courage de ses confrères.

XIV. Une des plus nobles supercheries et des plus ordinaires est celle des écrivains qui se transforment en ministres d’État et en seigneurs de la cour du pays dont ils parlent. On nous a donné une grande histoire de Louis XIV, écrite sur les mémoires

  1. Voyez une note du chapitre XV du Précis du Siècle de Louis XV.