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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

geaient à se rétracter : il me le promit ; mais l’effet de son livre dure encore, et j’ai vu cette calomnie répétée dans de prétendues histoires du siècle.

IX. Il vient de paraître un ouvrage politique à Londres, la ville de l’univers où l’on débite les plus mauvaises nouvelles, et les plus mauvais raisonnements sur les nouvelles les plus fausses. « Tout le monde sait, dit l’auteur, page 17, que l’empereur Charles VI est mort empoisonné dans de l’aqua tuffana ; on sait que c’est un Espagnol qui était son page favori, et auquel il a fait un legs par son testament, qui lui donna le poison. Les magistrats de Milan qui ont reçu les dépositions de ce page quelque temps avant sa mort, et qui les ont envoyées à Vienne, peuvent nous apprendre quels ont été ses instigateurs et ses complices, et je souhaite que la cour de Vienne nous instruise bientôt des circonstances de cet horrible crime. » Je crois que la cour de Vienne fera attendre longtemps les instructions qu’on lui demande sur cette chimère. Ces calomnies toujours renouvelées me font souvenir de ces vers[1] :

Vos oisifs courtisans, que les chagrins dévorent,
S’efforcent d’obscurcir les astres qu’ils adorent.
Là, si vous en croyez leur coup d’œil pénétrant,
Tout ministre est un traître, et tout prince un tyran ;
L’hymen n’est entouré que de feux adultères ;
Le frère à ses rivaux est vendu par ses frères ;
Et sitôt qu’un grand roi penche vers son déclin,
Ou son fils ou sa femme ont hâté son destin…
Qui croit toujours le crime en paraît trop capable.

Voilà comment sont écrites les histoires prétendues du siècle.

X. La guerre de 1702 et celle de 1741 ont produit autant de mensonges dans les livres qu’elles ont fait périr de soldats dans les campagnes ; on a redit cent fois, et on redit encore, que le ministère de Versailles avait fabriqué le testament de Charles II, roi d’Espagne[2].

XI. Des anecdotes nous apprennent que le dernier maréchal de La Feuillade manqua exprès Turin, et perdit sa réputation, sa fortune, et son armée, par un grand trait de courtisan ; d’autres nous certifient qu’un ministre fit perdre une bataille par politique.

  1. Vers d’Ériphyle (IV, I), tragédie de Voltaire, et qui ne fut imprimée qu’après sa mort. Voyez tome Ier du Théâtre.
  2. Voyez, tome XIV, le chapitre XVII du Siècle de Louis XIV.