Monsieur, la délicatesse de votre goût se fait remarquer dans la critique judicieuse que vous faites de la plupart des ouvrages que vous annoncez dans votre livre périodique ; et vous avez acquis, même chez une nation qui ne prodigue pas ses éloges, une réputation à laquelle peu de gens peuvent se flatter de parvenir. J’ai partagé avec tous mes compatriotes, amateurs des belles-lettres, le plaisir qu’ils prennent à lire le Mercure de France depuis que vous présidez à la composition de ce recueil.
Mais je ne puis me refuser de me plaindre de vous à vous-même, de l’idée que vous donnez au public, dans votre volume de ce mois, d’un livre dont malheureusement je suis l’auteur, et qui porte pour titre : Connaissance des beautés et des défauts de la poésie et de l’éloquence dans la langue française. Je sais que non-seulement la critique doit être libre, mais encore qu’elle est utile dans la république des lettres ; et le fanatisme poétique, dont vous m’accusez, ne m’aveugle pas assez pour me laisser ignorer qu’elle est la mère de l’émulation, et que nous sommes redevables à ses censures des efforts de ces grands et sublimes génies que nous admirons, et que l’on admirera toujours.
Vous pouvez donc, sans m’offenser, blâmer mon raisonnement, ainsi que l’arrangement des matières traitées dans mon livre, et
- ↑ Remond de Sainte-Albine était alors rédacteur du Mercure. Cette lettre a paru dans ce journal, premier volume de décembre 1749, page 170. Elle a été reproduite par Beuchot comme un appendice nécessaire à l’ouvrage qui précède.