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TRADUCTIONS.

                        Heureuse médiocrité,
Préside à mes désirs, préside à ma fortune ;
Écarte loin de moi l’affreuse pauvreté,
Et d’un sort trop brillant la splendeur importune.

Il est certain qu’on ne devrait traduire les poëtes qu’en vers. Le contraire n’a été soutenu que par ceux qui, n’ayant pas le talent, tâchaient de le décrier ; vain et malheureux artifice d’un orgueil impuissant. J’avoue qu’il n’y a qu’un grand poëte qui soit capable d’un tel travail ; et voilà ce que nous n’avons pas encore trouvé. Nous n’avons que quelques petits morceaux, épars çà et là dans des recueils ; mais ces essais nous font voir au moins qu’avec du temps, de la peine, et du génie, on peut, parmi nous, traduire heureusement les poëtes en vers. Il faudrait avoir continuellement présente à l’esprit cette belle traduction que Boileau a faite d’un endroit d’Homère :

L’enfer s’émeut au bruit de Neptune en furie.
Pluton sort de son trône ; il pâlit, il s’écrie ;
Il a peur que ce dieu, dans cet affreux séjour,
D’un coup de son trident ne fasse entrer le jour, etc.

Mais qu’il serait difficile de traduire ainsi tout Homère ! J’ai vu des traductions de quelques passages du poëme bizarre du Paradis perdu, de Milton. M. de Voltaire et M. Racine le fils ont tous deux mis en vers une apostrophe de Satan au soleil. Je n’examine pas ici l’extraordinaire et le sauvage du fond ; je m’en tiens uniquement aux beautés qu’une traduction en vers exige.

M. Racine s’exprime ainsi :

Toi, dont le front brillant fait pâlir les étoiles,
Toi qui contrains la nuit à retirer ses voiles,
Triste image, à mes yeux, de celui qui t’a fait,
Que ta clarté m’afflige, et que mon cœur te hait !
Ta splendeur, ô soleil ! rappelle à ma mémoire
Quel éclat fut le mien dans le temps de ma gloire ;
Élevé dans le ciel, près de mon souverain,
Je m’y voyais comblé des bienfaits que sa main,
Sans jamais se lasser, versait en abondance.

Voici les vers de M. de Voltaire :


Toi, sur qui mon tyran prodigue ses bienfaits,
Soleil, astre de feu, jour heureux que je hais,