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MÉMOIRE DU SIEUR DE VOLTAIRE.

teur[1], tantôt se liguant avec lui pour écrire des libelles, pour faire la Ramsaïde, qu’il osa bien envoyer à Cirey ; pour distribuer à Paris, pour imprimer des feuilles scandaleuses, délit dont il a été juridiquement convaincu à la chambre de l’Arsenal, et pour lequel il a obtenu des lettres d’abolition ? Mais ces lettres du roi, qui ont pardonné un crime, donnent-elles le droit d’en commettre encore ? Nous avons la preuve, dans une lettre déposée dans les mains d’un magistrat, que le jour même qu’il fut condamné il acheva ce libelle contre le sieur de Voltaire (au sujet d’Alzire), duquel nous venons de parler tout à l’heure.

La voix publique s’éleva contre les insultes faites à tant de citoyens, et dans la Voltairomanie, et dans tant d’autres écrits. Non, ce n’est point ici une simple réponse que l’on fait à un libelle : c’est une requête qu’on ose présenter aux magistrats contre les libelles de vingt années, contre l’abus le plus cruel des belles-lettres, enfin contre la calomnie.

On apprend dans ce moment que cinq ou six personnes de lettres, qui, à la réserve d’un seul, n’ont jamais vu le sieur de Voltaire, viennent de demander justice à monseigneur le chancelier, dans le temps qu’il ne la demandait pas encore. Ils ont signé une requête, ils sont intervenus, au nom du public, pour faire cesser de tels scandales. C’est une grande consolation pour lui et pour tous ceux qui cultivent les beaux-arts : il est pénétré de reconnaissance ; et sa voix, soutenue par la leur, en devient plus forte contre l’injustice.

En effet, que le sort d’un homme à talent, d’un artiste, d’un écrivain serait à plaindre si, toujours en guerre dans sa profession paisible, toujours en butte à des ouvrages imprimés, toujours calomnié, ou du moins cruellement offensé, il ne trouvait aucun tribunal qui confondît enfin les agresseurs, et qui défendît la vérité contre l’oppression ! Ce n’est pas assez que la magistrature ait réprimé souvent le sieur Desfontaines, et le contienne encore autant qu’elle le peut ; si les traits des hommes méchants, quoique punis, laissaient des cicatrices, la condition de l’offensé serait pire que celle de l’imposteur le plus sévèrement châtié. Mais le magistrat inflige les peines au coupable, et la voix publique console l’innocence.

Ce que je dis ici des atteintes de l’imposture, je le dis à proportion de la satire et de cette raillerie amère qui n’est pas, à la

  1. Dans son Dictionnaire néologique. (Note de Voltaire.) — Sur cet ouvrage, voyez la note, tome XXII, page 376.