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TRADUCTIONS.

même. Rien n’est plus avilissant ; c’est déceler sa passion, et une passion déshonorante. Il est heureux que cette pièce de Rousseau soit une de ses plus mauvaises.

Les satires en prose étant mille fois plus aisées à faire que celles qui sont rimées, elles ont inondé la république des lettres. Elles ont passé jusque dans la plupart des journaux. Les auteurs, prostituant leur plume vénale à l’avarice de leurs libraires, ont rempli d’invectives et de mensonges presque tous les ouvrages périodiques qui s’impriment en Hollande ; et il ne faut lire ces recueils qu’avec une extrême défiance. L’art de l’imprimerie deviendra bientôt un métier infâme et funeste si on ne met pas ordre à la licence brutale avec laquelle quelques libraires de Hollande impriment les satires les plus scandaleuses, tantôt contre les têtes couronnées, tantôt contre les hommes les plus respectables de l’Europe. J’ai vu quelquefois, dans les pays du Nord, porter des jugements très-désavantageux sur des hommes du premier mérite, qui était indignement attaqués dans ces misérables brochures ; ni les auteurs, ni les libraires, ne connaissent les gens qu’ils déchirent. C’est un métier, comme de vendre du vin frelaté. Il faut avouer qu’il n’y a guère de métier plus indigne, plus lâche, et plus punissable.


TRADUCTIONS.

La plupart des traducteurs gâtent leur original, ou par une fausse ambition de le surpasser, qui les rend infidèles, ou par une plate exactitude, qui les rend plus infidèles encore.

On dit que Mme de Sévigné les comparait à des domestiques qui vont faire un message de la part de leur maîtres, et qui disent souvent le contraire de ce qu’on leur a ordonné. Ils ont encore un autre défaut des domestiques : c’est de se croire aussi grands seigneurs que leur maître, surtout quand ce maître est fort ancien ; et c’est un plaisir de voir à quel point un traducteur d’une pièce de Sophocle, qu’on ne pourrait pas jouer sur notre théâtre, méprise Cinna et Polyeucte.

Mais, pour en revenir aux infidélités des traducteurs, j’examinerai le Virgile que l’abbé Desfontaines nous a donné en prose. Il était plus obligé qu’un autre de donner une bonne traduction, après la manière insultante et grossière dont il parle de tous ceux qui l’ont précédé. Ouvrons le livre, et voyons s’il fait excuser au moins cette rusticité pédantesque avec laquelle il les traite, et s’il s’acquitte mieux qu’eux de son devoir.