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SATIRE.

Il tombait si naturellement dans ce cruel défaut qu’il avait placé son propre frère Gilles Boileau dans ses satires, d’une manière ignominieuse (sat. IX, 69) :

Vous pourrez voir un temps vos écrits estimés
Courir de main en main par la ville semés,
Puis suivre avec Boileau, ce rebut de notre âge,
Et la Lettre à Costar et l’Avis à Ménage.

Cette Lettre et cet Avis étaient deux ouvrages de son frère. Il mit à la place :

Puis de là, tout poudreux, ignorés sur la terre,
Suivre, chez l’épicier, Neufgermain et La Serre.

Cette démangeaison de médire ainsi au hasard, et d’attaquer tout indifféremment, devait seule ôter tout crédit à ses Satires.

Il a beau s’en excuser ; s’il n’avait pas fait ses belles Épîtres, et surtout son Art poétique, il aurait une très-mince réputation, et ne serait pas fort au-dessus de Régnier, qui est un homme très-médiocre. Tout le monde sait que l’acharnement contre Quinault est insupportable, et que Despréaux eut en cela d’autant plus de tort que, quand il voulut faire un prologue d’opéra pour montrer à Quinault comme il fallait s’y prendre, il fit un ouvrage très-mauvais, et qui n’approchait pas des moindres prologues de ce même Quinault qu’il affectait tant de rabaisser[1].

La satire ne paraît jamais dans un jour plus odieux que quand elle est lancée contre des personnes qu’on a louées auparavant : cette rétractation n’est une flétrissure humiliante que pour l’auteur. C’est ce qui est arrivé à Rousseau, dans une pièce intitulée la Palinodie, qui commence ainsi :

À vous, héros honteux de mes premiers écrits.

Ce vers amphibologique laisse douter si ce n’est pas le héros qui est honteux d’avoir été le sujet de ses premiers écrits ; mais le plus grand défaut vient du vice du cœur de l’auteur. S’il n’est pas content des procédés de celui dont il a fait l’éloge, il faut se taire ; mais il ne faut pas chanter la palinodie et se condamner soi-

    hasard : cela devrait ôter tout crédit à ses satires », expression qu’on retrouve treize lignes plus bas.

  1. La main de Voltaire apparaît dans tout ceci très-visiblement.