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MÉTAPHORE.

En y portant le compas et l’équerre,
Que l’amitié par l’estime s’acquière ?


On sonde les replis du cœur humain, mais on ne le mesure point avec un compas ; l’équerre surtout, qui est un instrument de maçon, est là bien peu convenable. Je ne connais guère d’auteur dont les idées soient moins justes et moins vraies que celles de Rousseau. Il a excellé quelquefois dans le choix des paroles : c’est beaucoup, car c’est une très-grande difficulté vaincue ; mais quand ce mérite est sujet à des inégalités, quand il n’est pas soutenu par du sentiment, par des idées toujours exactes, le mérite des mots ne suffit pas, de nos jours, pour constituer un grand écrivain : cela était bon du temps de Malherbe.

On peut quelquefois entasser des métaphores les unes sur les autres ; mais alors il faut qu’elles soient bien distinguées, et que l’on voie toujours votre objet représenté sous des images différentes. C’est ainsi que le célèbre Massillon, évêque de Clermont, dit, dans son sermon du petit nombre des élus :

« Vous auriez vu dans Isaïe les élus aussi rares que ces grappes de raisin qu’on trouve encore après la vendange, et qui ont échappé à la diligence du vendangeur ; aussi rares que ces épis qui restent par hasard après la moisson, et que la faux du moissonneur a épargnés… Je vous aurais parlé de deux voies, dont l’une est étroite, rude, et la voie d’un très-petit nombre ; l’autre, large, spacieuse, semée de fleurs, et qui est comme la voie publique de tous les hommes. »

Aucune de ces images ne nuit à l’autre ; au contraire, elles se fortifient toutes. Mais cet amas de métaphores doit être employé rarement, et seulement dans les occasions où l’on a besoin de faire sentir des choses importantes. On reconnaît un grand écrivain non-seulement aux figures qu’il met en usage, mais à la sobriété avec laquelle il les emploie.

Les Orientaux ont toujours prodigué la métaphore sans mesure et sans art. On ne voit dans leurs écrits que des collines qui sautent, des fleuves qui sèchent de crainte, des étoiles qui tressaillent de joie. Leur imagination trop vive ne leur a jamais permis d’écrire avec méthode et sagesse ; de là vient qu’ils n’ont rien approfondi, et qu’il n’y a pas en Orient un seul bon livre d’histoire et de science. Il semble que dans ces pays on n’ait presque jamais parlé que pour ne pas être entendu. Il n’y a que leurs fables qui aient réussi chez les autres nations. Mais quand on n’excelle que dans des fables, c’est une preuve qu’on n’a que de l’imagination.