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LETTRES FAMILIÈRES.

vous propose que mes intérêts pour vous gagner, car je sais bien, monsieur, que vous ne pouvez être touché des vôtres ; sans cela, je vous promettrais son amitié. C’est un bien par lequel les plus sévères juges se pourraient laisser corrompre, et dont un aussi honnête homme que vous doit être tenté. Vous le pouvez acquérir justement, car elle ne demande de vous que la justice. Vous m’en ferez une que vous me devez, si vous me faites l’honneur de m’aimer toujours autant que vous avez fait autrefois, et si vous croyez que je suis vôtre, etc. » (Lettre 140.)

Mais il faut avouer, avec l’auteur du Temple du Goût[1], que l’on trouve dans Voiture bien peu de lettres de ce prix, et que tout ce qui est marqué à un si bon coin pourrait, comme il le dit, se réduire à un très-petit nombre de feuillets. À l’égard de Balzac, personne ne le lit aujourd’hui. Ses lettres ne serviraient qu’à former un pédant. On y trouve, à la vérité, du nombre et de l’harmonie prosaïque ; mais c’est précisément cela qu’on ne devrait pas trouver dans ses lettres. C’est le mérite propre des harangues, des oraisons funèbres, de l’histoire, de tout ce qui demande une éloquence d’appareil et un style soutenu.

Qui peut tolérer que Balzac écrive à un cardinal « qu’il a le sceptre des rois et la livrée des roses, et qu’à Rome on se sauve à la nage au milieu des eaux de senteur » ?

Qui peut ne pas mépriser ces pitoyables hyperboles ? Si les déclamations froides et forcées ont tant servi à décréditer le style de Balzac ; si la contrainte, l’affectation, les jeux de mots, les plaisanteries recherchées, ont fait tant de tort à Voiture, que doit-on penser de ces lettres imaginaires, qui sont sans objet, et qui n’ont jamais été écrites que pour être imprimées ? C’est une entreprise fort ridicule que de faire des lettres comme on fait un roman, de se donner pour un colonel, de parler de son régiment, et de faire des récits d’aventures qu’on n’a jamais eues. Les Lettres du chevalier d’Her…[2] n’ont pas seulement ce défaut, mais elles ont encore celui d’être écrites d’un style forcé et tout à fait impertinent. On y obtient des lettres d’état pour sa maîtresse ; on la fait peindre en Iroquoise, mangeant une demi-douzaine de cœurs. Enfin on n’a jamais rien écrit de plus mauvais goût ; et cependant ce style a eu des imitateurs.

Il y a des lettres d’une autre espèce, comme celles de l’Espion

  1. Voyez tome VIII.
  2. Les Lettres galantes du chevalier d’Her…, 1685, in-12, sont de Fontenelle.