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MÉMOIRE DU SIEUR DE VOLTAIRE.

Prendre le parti de la vertu outragée est presque toujours ce qu’on reproche au sieur de Voltaire dans ce libelle fait pour n’outrager que la vertu. Dans quel autre livre eût-on pu faire un crime au sieur de Voltaire d’avoir depuis longtemps justifié un des plus estimables et des plus savants prélats qui soient au monde ? Milord Berkeley, évêque de Cloyne, cet homme dans qui l’amour du bien public est la passion dominante, cet homme qui a fondé une mission pour civiliser l’Amérique septentrionale, est l’auteur d’un livre dans le goût de celui de M. l’abbé de Houteville, d’un écrit plein d’esprit et de sagesse en faveur de la religion chrétienne. L’abbé Desfontaines, ayant pris peut-être les objections qui se trouvent dans ce livre pour les sentiments de l’auteur, avance dans ses Observations que cet ouvrage est celui d’un libertin méprisable, qui écrit dans un cabaret contre la religion et contre la société. Le sieur de Voltaire, ami depuis longtemps de milord Berkeley, a détruit hautement, dans vingt de ses lettres, cette scandaleuse méprise ; il en parle même dans sa préface[1] des Éléments de la philosophie de Newton. L’auteur du Préservatif rapporte à peu près le sentiment du sieur de Voltaire. Qu’aurait fait alors un auteur qui aurait eu du respect pour la vérité ? Il se fût rétracté, il eût remercié le sieur de Voltaire. Mais à sa place les honnêtes gens seront pour nous ; ils feront ce que M.  de Voltaire a fait pour l’évêque de Cloyne ; tout homme de lettres doit justifier l’homme de lettres calomnié, comme tout citoyen doit secourir le citoyen qu’on assassine.

Non-seulement la cause d’un maréchal de France très-estimé, celle d’un vertueux évêque, se trouvent ici jointes à celle du sieur de Voltaire ; mais il a encore à venger la mémoire de cet ambassadeur qui vient de verser son sang pour l’honneur de sa patrie, de feu M.  le comte de Plélo, dont le nom sera toujours cher à la France, et très-respecté dans toutes les nations. C’est ce ministre, ce guerrier digne d’être comparé aux anciens Grecs et aux anciens Romains, que l’abbé Desfontaines veut par une calomnie flétrir du ridicule le plus avilissant : voici le fait. L’abbé Desfontaines traduit, en 1729, un Essai sur la poésie épique que le sieur de Voltaire avait composé en anglais. Il le fait imprimer chez son libraire Chaubert. Le sieur de Voltaire, quelque temps après, a la complaisance de corriger plus de cinquante contre-sens de cette traduction. Il en fait tout l’honneur à l’abbé Desfontaines dans

  1. Ce sont les Éclaircissements que nous avons donnés dans le tome XXII ; voyez à la page 271 de ce même tome.