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LANGAGE.

certain sens ; mais tourner la justice ne peut signifier séduire, corrompre la justice.

Au bruit que contre vous sa malice a tourné.

(Scène I.)

Tourner un bruit ne peut pas plus se dire que tourner la justice. On peut tourner des traits contre quelqu’un ; mais un bruit ne peut être une chose qui se tourne.

On peut aisément remarquer que l’exposition de ces fautes n’est pas d’un critique malin qui cherche vainement à rabaisser Molière, mais d’un esprit équitable qui veut combattre l’abus qu’on fait quelquefois des écrits de ce grand homme, en citant, pour des autorités consacrées, des fautes de langue. C’est dans cette vue innocente et utile que je veux examiner la tragédie de Pompée de Pierre Corneille.

EXAMEN DES FAUTES DE LANGAGE DANS LA TRAGÉDIE DE POMPÉE.

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Sont les titres affreux dont le droit de l’épée[1],
Justifiant César, a condamné Pompée.

On ne peut pas dire le titre dont on condamne, mais le titre sur lequel, par lequel, ou le titre qui condamne.

Et qui veut être juste en de telles saisons[2]
Balance le pouvoir, et non pas les raisons.

En de telles saisons est une expression lâche et vicieuse. Balance le pouvoir n’est pas le mot propre ; il voulait dire consulte son pouvoir.

Cet hémistiche et non pas les raisons dit tout le contraire de ce qu’il doit dire. Ce sont précisément les raisons, c’est-à-dire la raison d’État qu’on examine et qu’on pèse.

Soutiendrez-vous un faix sous qui Rome succombe[3],
Sous qui tout l’univers se trouve foudroyé ?

  1. Acte Ier, scène Ire, vers 13 et 14.
  2. Ibid., vers 51 et 52.
  3. Ibid., vers 70-71.