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LANGAGE.

exceptions qui paraissent si contraires aux règles, c’est de converser souvent avec un homme instruit. Vous apprendrez plus dans quelques entretiens avec lui que dans une lecture qui laisse presque toujours des doutes. Nous avons beau lire aujourd’hui les auteurs latins, l’étude la plus assidue ne nous apprendra jamais quelles fautes les copistes ont glissées dans les manuscrits, quels mots impropres Salluste, Tive-Live, ont employés. Nous ne pouvons presque jamais discerner ce qui est hardiesse heureuse d’avec ce qui est licence condamnable.

Les étrangers sont, à l’égard de nos auteurs, ce que nous sommes tous à l’égard des anciens. La meilleure méthode est d’examiner scrupuleusement les excellents ouvrages. C’est ainsi qu’en a usé M.  de Voltaire dans son Temple du Goût. Je veux entrer ici dans un examen plus approfondi de la pureté de la langue, et j’ai choisi exprès la belle comédie du Misanthrope, de même que M.  l’abbé d’Olivet a recherché les fautes contre la langue, échappées au grand Racine[1]. Un homme qui saura remarquer du premier coup d’œil les petits défauts de langage dans une pièce telle que le Misanthrope pourra être sûr d’avoir une connaissance parfaite de la langue. Rien n’est plus propre à guider un étranger ; et un tel travail ne sera pas inutile à nos compatriotes.

Et la plus glorieuse a des régals peu chers. (I, i.)

Une estime glorieuse est chère ; mais elle n’a point des régals chers. Il fallait dire des plaisirs peu chers ; ou plutôt tourner autrement la phrase. On dit, dans le style bas, cela est un régal pour moi ; mais non pas il y a des régals pour moi.

Et quand on a quelqu’un qu’on hait ou qui déplaît. (I, i.)

J’ai quelqu’un que je hais. L’expression est vicieuse. On dit j’ai une chose à faire ; non pas j’ai une chose que je fais[2].

Que, pour avoir vos biens, on dresse un artifice. (I, i.)

On use d’artifice, on ne le dresse pas ; on dresse, on tend un

  1. Remarques grammaticales sur Racine, 1738.
  2. Ce n’est pas la même expression, ni le même sens.