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GRANDEUR DE DIEU.

Il me demanda si on disait, j’ai pour vous l’estime, et s’il ne fallait pas absolument dire J’ai pour vous de l’estime. Je fus surpris de cette remarque, qui était très-juste. Cela me fit lire depuis Inès avec beaucoup d’attention, et j’y trouvai plus de deux cents fautes contre la langue ; mais ce n’est pas ici le lieu d’en parler.

GRANDEUR DE DIEU.

Ce sera dans les vers que je chercherai les belles images de la grandeur de Dieu. Je n’ai rien trouvé dans la prose qui m’ait élevé l’âme en parlant de ce sublime sujet ; et j’avoue que je ne suis point surpris qu’on ait autrefois appelé la poésie le langage des dieux. Il y a en effet dans les beaux vers un enthousiasme qui paraît au-dessus des forces humaines. Nul auteur en prose n’a parlé de Dieu comme Racine dans Esther (acte III, sc. iv) :

L’Éternel est son nom, le monde est son ouvrage ;
Il entend les soupirs de l’humble qu’on outrage ;
Juge tous les mortels avec d’égales lois,
Et du haut de son trône interroge les rois.

Ces quatre vers sont sublimes. Ils sont, je crois, infiniment plus parfaits en leur genre que ce commencement de la première ode sacrée de Rousseau, qui pourtant est fort belle[1] :

Les cieux instruisent la terre
À révérer leur auteur ;
Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un dieu créateur.
Quel plus sublime cantique
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps !
Quelle grandeur infinie !
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords !

Le mot enserre n’est ni noble ni agréable ; et quel cantique que ce concert ! quelle grandeur ! quelle harmonie ! voilà bien des quels ! Ces trois choses d’ailleurs, cantique, concert, harmonie, se ressemblent trop. Résulte est un mot trop prosaïque. Enfin il y a trop d’épithètes, et vous n’en trouvez pas une dans ces quatre vers d’Esther.


  1. J.-B. Rousseau, livre Ier, ode ii.