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ENFER.

Sur cette terre horrible, et des anges haïe,
Dieu n’a point répandu le germe de la vie.
La Mort, l’affreuse Mort, et la Confusion,
Y semblent établir leur domination…
Là gît la sombre Envie, à l’œil timide et louche,
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche :
Le jour blesse ses yeux dans l’ombre étincelants :
Triste amante des morts, elle hait les vivants.
Elle aperçoit Henri, se détourne et soupire.
Auprès d’elle est l’Orgueil, qui se plaît et s’admire ;
La Faiblesse au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cède au crime et détruit les vertus ;
L’Ambition sanglante, inquiète, égarée,
De trônes, de tombeaux, d’esclaves entourée ;
La tendre Hypocrisie, aux yeux pleins de douceur
(Le ciel est dans ses yeux, l’enfer est dans son cœur) ;
Le Faux-Zèle, étalant ses barbares maximes ;
Et l’Intérêt enfin, père de tous les crimes.


Je dirai hardiment que j’aime mieux cette peinture des vices, qui de tout temps ont ouvert aux misérables mortels l’entrée de cette horrible demeure, que la description de Virgile, dans laquelle il met les Remords vengeurs avec la Crainte, la Faim, et la Pauvreté (Æn., lib. VI, 274-75) :

Luctus et ultrices posuere cubilia Curæ…
Et Metus, et malesuada Fames, et turpis Egestas.

La pauvreté mène moins aux enfers que la richesse ; mais je ne peux supporter la description bizarre et bigarrée que fait Rousseau[1] :


L’ordre donné, la séance réglée,
Et des démons la troupe rassemblée,
Furent assis les sombres députés.
Selon leur ordre, emplois et dignités.
Au premier rang, le ministre Asmodée,
Et Belzébuth à la face échaudée.
Et Bélial, puis les diables mineurs.
Juges, préfets, intendants, gouverneurs,
Représentant le tiers état du gouffre.
Alors, assis sur un trône de soufre,
Lucifer tousse, et, faisant un signal,

  1. Allégorie première : Torticolis, vers 45-56, 71-76.