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ENFER.

Des pensées si puériles et si propres à révolter tous les esprits sensés n’ont pu cependant empêcher le succès du livre, parce que les pensées fines et vraies y sont en grand nombre ; et quoiqu’elles se trouvent, pour la plupart, dans Montaigne et dans beaucoup d’autres auteurs, elles ont le mérite de la nouveauté dans les dialogues de Fontenelle, par la manière dont il les enchâsse dans des traits d’histoire intéressants et agréables. Si ce livre doit être lu avec précaution, comme je l’ai dit, il peut être lu aussi avec plaisir, et même avec fruit, par tous ceux qui aimeront la délicatesse de l’esprit, et qui sauront discerner l’agréable d’avec le forcé, le vrai d’avec le faux, le solide d’avec le puéril, mêlés à chaque page dans ce livre ingénieux.

Le malheur de ce livre et de ceux qui lui ressemblent est d’être écrit uniquement pour faire voir qu’on a de l’esprit. Le célèbre professeur Rollin avait grand raison de comparer les ouvrages utiles aux arbres que la nature produit avec peine, et les ouvrages de pur esprit aux fleurs des champs, qui croissent et qui meurent si vite. La perfection consiste, comme dit Horace, à joindre les fleurs aux fruits :

Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci[1].


ENFER (DESCRIPTION DE L’).

On voit dans tous les poètes épiques des descriptions de l’enfer. Il y en a une aussi dans la Henriade au septième champ ; mais, comme elle est fort longue et entremêlée de beaucoup d’autres idées, j’aime mieux y renvoyer le lecteur. J’en comparerai seulement quelques endroits avec ce que dit le Télamaque sur le même sujet (livre XVIII) :

« Dans cette peine, il entreprit de descendre aux enfers par un lieu célèbre qui n’était pas éloigné du camp ; on l’appelait Acherontia, à cause qu’il y avait en ce lieu une caverne affreuse, de laquelle on descendait sur les rives de l’Achéron, par lequel les dieux mêmes craignent de jurer. La ville était sur un rocher, posée comme un nid sur le haut d’un arbre. Au pied de ce rocher on trouvait la caverne, de laquelle les timides mortels n’osaient approcher. Les bergers avaient soin d’en détourner leurs troupeaux. La vapeur soufrée du marais Stygien, qui s’exhalait sans

  1. Horace, Art poétique, 343.