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DIALOGUES EN PROSE.

Il est encore très-faux qu’il n’y ait pas de siècles plus méchants les uns que les autres[1]. Le xe siècle, à Rome, était certainement beaucoup plus pervers que le xviiie. Il y a cent exemples pareils.

Il n’est pas plus vrai « qu’avoir de l’esprit soit uniquement un hasard[2] » : car c’est principalement la culture qui forme l’esprit, et si cela n’était pas ainsi, un paysan en aurait autant que l’homme du monde le plus cultivé.

Rien n’est encore plus faux que ce qu’on met dans la bouche d’Élisabeth d’Angleterre, parlant au duc d’Alençon. Elle veut lui persuader qu’il a été heureux, parce qu’il a manqué quatre fois la royauté. « Et voilà ce bonheur dont vous ne vous êtes pas aperçu. Toujours des imaginations, des espérances, et jamais de réalité. Vous n’avez fait que vous préparer à la royauté pendant toute votre vie, comme je n’ai fait pendant toute la mienne que me préparer au mariage[3]. »

Quelle pitié de comparer la fureur de régner du duc d’Alençon, et les malheurs horribles qu’elle lui causa, avec les petits artifices de la reine Élisabeth pour ne se point marier ! Quelle fausseté de prétendre que le bonheur consiste dans des espérances si cruellement confondues ! Enfin, est-il rien de plus faux que ces paroles : Voilà ce bonheur dont vous ne vous êtes point aperçu ? Un bonheur qu’on ne sent point peut-il être un bonheur ?

Il est honteux pour la nation que ce livre frivole, rempli d’un faux continuel, ait séduit si longtemps.

Voici encore une pensée aussi fausse que recherchée : « Mais songez que l’honneur gâte tout cet amour, dès qu’il y entre. D’abord, c’est l’honneur des femmes qui est contraire aux intérêts des amants ; et puis, du débris de cet honneur-là, les amants s’en composent un autre qui est fort contraire aux intérêts des femmes. Voilà ce que c’est que d’avoir mis l’honneur d’une partie dont il ne devait point être[4]. »

Quel style ! un honneur qui est de la partie. Mais rien ne paraît encore plus faux et plus mal placé que Faustine, qui se compare à Marcus Brutus, et prétend avoir eu autant de courage en faisant des infidélités à Marc-Aurèle son mari, que Brutus en eut en tuant

  1. Fontenelle. (Premiers Dialogues des morts anciens avec des modernes, III. Socrate, Montaigne.)
  2. Premiers Dialogues des morts modernes, II. Charles-Quint, Érasme.
  3. Premiers Dialogues des morts modernes, III. Élisabeth d’Angleterre, le duc d’Alençon.
  4. Nouveaux Dialogues des morts anciens, III. Candaule, Gygès.