Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
CARACTÈRES ET PORTRAITS.

« Les autres nations, dit-il, crurent l’Angleterre ensevelie sous ses ruines, jusqu’au temps où elle devint tout à coup plus formidable que jamais, sous la domination de Cromwell, qui l’assujettit en portant l’Évangile dans une main, l’épée dans l’autre, le masque de la religion sur le visage, et qui dans son gouvernement couvrit des qualités d’un grand roi tous les crimes d’un usurpateur. »

Voilà, dans ce peu de lignes, toute la vie de Cromwell. L’auteur en eût dit trop s’il en eût dit davantage dans une description de l’Europe où il passe en revue toutes les nations.

Le caractère de Charles XII m’a frappé dans un goût absolument différent ; c’est à la fin de l’histoire de ce monarque. Le vrai se fait sentir dans cette peinture. On sent que ce n’est pas là un portrait fait à plaisir comme celui de Valstein, qu’on a fait valoir dans Sarrasin[1], mais qui n’est peut-être en effet qu’un amas d’oppositions et d’antithèses, et qu’une imitation ampoulée de Salluste.

CARACTÈRE DE CHARLES xii.

« Ainsi périt, à l’âge de trente-six ans et demi, Charles XII, roi de Suède, après avoir éprouvé ce que la prospérité a de plus grand, et ce que l’adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l’une ni ébranlé un moment par l’autre. Presque toutes ses actions, jusqu’à celles de sa vue privée et unie, ont été bien loin au delà du vraisemblable. C’est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu’ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans faiblesse. Il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. Sa fermeté, devenue opiniâtreté, fit ses malheurs dans l’Ukraine, et le retint cinq ans en Turquie. Sa libéralité, dégénérant en profusion, a ruiné la Suède. Son courage, poussé jusqu’à la témérité, a causé sa mort. Sa justice a été quelquefois jusqu’à la cruauté, et, dans les dernières années, le maintien de son autorité approchait de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n’attaqua jamais personne ; mais il ne fut pas aussi prudent qu’implacable dans ses vengeances. Il a été le premier qui ait eu l’ambition d’être conquérant sans avoir l’envie d’agrandir ses États. Il voulait ga-

    dans lequel était le passage que Voltaire cite ici, et qui se retrouve dans le chapitre II du Siècle de Louis XIV. (B.)

  1. Sarrasin (1604-1654), auteur d’une Conspiration de Wallenstein.