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À M***.

Enfin il pousse l’effronterie jusqu’à dire qu’il a des amis : c’est attaquer cruellement l’espèce humaine, à laquelle il a toujours joué de si vilains tours. Il se défend d’avoir jamais reçu de l’argent pour dire du bien ou du mal ; et moi, je sais de science certaine qu’il a reçu une tabatière de trois louis du sieur Lavau[1] pour louer un petit poëme peu louable que ce Lavau avait malheureusement mis en lumière ; et ce Lavau me l’a dit en présence de quatre personnes. Qui ne sait d’ailleurs que dans son bureau de médisance on vendait l’éloge et la satire à tant la phrase ? Enfin Desfontaines, pour avoir le plaisir de dire des choses uniques, loue l’abbé Desfontaines et la traduction de Virgile ; sur quoi il faudrait le renvoyer à cette petite épigramme qui a couru (et qui est, dit-on, d’un homme très-célèbre, d’un aigle qui s’est amusé à donner des coups de bec à un hibou) :


Pour Corydon et pour Virgile,
Il fit des efforts assidus ;
Je ne sais s’il est fort habile :
Il les a tous deux corrompus.


Il faudrait encore qu’il se souvînt de cette inscription pour mettre au bas de son effigie ; elle est de Piron, qui réussit mieux en inscriptions qu’en tragédies :


Il fut auteur, et sodomite, et prêtre,
De ridicule et d’opprobre chargé.
Au Châtelet, au Parnasse, à Bicêtre,
Bien fessé fut, et jamais corrigé.


Il prétend qu’il se raccommodera avec le chancelier : cela sera long. Mais comment se raccommodera-t-il avec le public, dont il est le mépris et l’exécration ? Il doit bien servir d’exemple aux petits esprits qui ont un vilain cœur. Adieu.

Malicourt[2].
  1. Lavau, après avoir passé quinze ans de sa vie à élever de jeunes seigneurs, publia l’Éducation, poëme divisé en deux chants, 1739, in-8o.
  2. Voici, au sujet de Desfontaines, quelques vers tirés d’un des manuscrits de Voltaire conservés à Saint-Pétersbourg :

    Pour juger la littérature,
    L’impudence en original,
    La faim, l’envie et l’imposture,
    Se sont construit un tribunal.
    De ce petit trône infernal
    Où siègent ces quatre vilaines,
    Partent les arrêts du journal
    De monsieur l’abbé Desfontaines.

    (Léouzon Leduc, Voltaire et la Police, 1807, p. 186.)