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ARMÉE.

Sous un chemin trompeur, où, volant au carnage,
Le soldat valeureux se fie à son courage,
On voit en un instant des abîmes ouverts,
De noirs torrents de soufre épandus dans les airs,
Des bataillons entiers, par ce nouveau tonnerre,
Emportés, déchirés, engloutis sous la terre.
Ce sont là les dangers où Bourbon va s’offrir ;
C’est par là qu’à son trône il brûle de courir.
Ses guerriers avec lui dédaignent ces tempêtes :
L’enfer est sous leurs pas, la foudre est sur leurs têtes,
Mais la Gloire à leurs yeux vole à côté du roi ;
Ils ne regardent qu’elle, et marchent sans effroi.
    Mornai, parmi les flots de ce torrent rapide,
S’avance d’un pas grave et non moins intrépide,
Incapable à la fois de crainte et de fureur,
Sourd au bruit des canons, calme au sein de l’horreur ;
D’un œil ferme et stoïque il regarde la guerre
Comme un fléau du ciel, affreux, mais nécessaire ;
Il marche en philosophe où l’honneur le conduit,
Condamne les combats, plaint son maître, et le suit.
    Ils descendent enfin dans ce chemin terrible,
Qu’un glacis teint de sang rendait inaccessible.
C’est là que le danger ranime leurs efforts :
Ils comblent les fossés de fascines, de morts ;
Sur ces morts entassés ils marchent, ils s’avancent ;
D’un cours précipité sur la brèche ils s’élancent.
    Armé d’un fer sanglant, couvert d’un bouclier,
Henri vole à leur tête, et monte le premier.
Il monte ; il a déjà de ses mains triomphantes
Arboré de ses lis les enseignes flottantes.
Les ligueurs devant lui demeurent pleins d’effroi ;
Ils semblaient respecter leur vainqueur et leur roi :
Ils cédaient ; mais Mayenne à l’instant les ranime ;
Il leur montre l’exemple, il les rappelle au crime ;
Leurs bataillons serrés pressent de toutes parts
Ce roi dont ils n’osaient soutenir les regards.
Sur le mur avec eux la Discorde cruelle
Se baigne dans le sang que l’on verse pour elle.
Le soldat à son gré sur ce funeste mur,
Combattant de plus près, porte un trépas plus sûr.
    Alors on n’entend plus ces foudres de la guerre
Dont les bouches de bronze épouvantaient la terre :
Un farouche silence, enfant de la fureur,
À ces bruyants éclats succède avec horreur.
D’un bras déterminé, d’un œil brûlant de rage.
Parmi ses ennemis chacun s’ouvre un passage.