Tous ces exemples confirment de plus en plus que les mêmes choses bien dites en vers, ou bien dites en prose, sont aussi différentes qu’un vêtement d’or et de soie l’est d’une robe simple et unie ; mais aussi la médiocre prose est encore plus au-dessus des vers médiocres que les bons vers ne remportent sur la bonne prose.
On m’a demandé souvent s’il y avait quelque bon livre en français, écrit dans la prose poétique du Télémaque. Je n’en connais point, et je ne crois pas que ce style pût être bien reçu une seconde fois. C’est, comme on l’a dit[1], une espèce bâtarde qui n’est ni poésie ni prose, et qui, étant sans contrainte, est aussi sans grande beauté : car la difficulté vaincue ajoute un charme nouveau à tous les agréments de l’art. Le Télémaque est écrit dans le goût d’une traduction en prose d’Homère, et avec plus de grâce que la prose de Mme Dacier ; mais enfin c’est de la prose, qui n’est qu’une lumière très-faible devant les éclairs de la poésie, et qui atteste seulement l’impuissance[2] de rendre les poètes de l’antiquité en vers français.
J’aurais dû, en suivant l’ordre alphabétique, traiter l’ambition avant l’amitié ; mais j’ai mieux aimé commencer par une vertu que par un vice. J’ai préféré le sentiment à l’ordre. Je ne sais pourquoi l’ambition est le sujet de beaucoup plus de pièces de poésie et d’éloquence que l’amitié : n’est-ce point qu’on réussit mieux à caractériser les passions funestes que les doux penchants du cœur ? Il entre toujours de la satire dans ce qu’on dit de l’ambition. Quoi qu’il en soit, j’aime à voir dans la Henriade (VII, 153) :
L’ambition sanglante, inquiète, égarée,
De trônes, de tombeaux, d’esclaves entourée.
Mais que La Fontaine a de charmes dans un des prologues de ses fables !
Deux démons à leur gré partagent notre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison ;