Ou toujours remplis d’eux, ou toujours hors d’eux-même,
Au monde, à l’inconstance, ardents à se livrer.
Malheureux, dont le cœur ne sait pas comme on aime,
Et qui n’ont point connu la douceur de pleurer !
Je me garderai bien, en voulant former des jeunes gens, de citer ici des descriptions de l’amour plus capables de corrompre le cœur que de perfectionner le goût. Je donnerai deux portraits de l’amour tirés de deux célèbres poëtes, dont l’un, qui est feu Rousseau, n’a pas toujours parlé avec tant de bienséance ; et l’autre, qui est M. de Voltaire, a, ce me semble, toujours fait aimer la vertu dans ses écrits.
Jadis sans choix[1] les humains dispersés,
Troupe féroce et nourrie au carnage,
Du seul instinct suivaient la loi sauvage,
Se renfermaient dans les antres cachés.
Et de leurs trous par la faim arrachés[2]
Allaient, errants au gré de la nature,
Avec les ours disputer la pâture.
De ce chaos l’Amour réparateur[3]
Fut de leurs lois le premier fondateur :
Il sut fléchir leurs humeurs indociles,
Les réunit dans l’enceinte des villes.
Des premiers arts leur donna des leçons,
Leur enseigna l’usage[4] des moissons ;
Chez eux logea l’Amitié secourable,
Avec la Paix, sa sœur inséparable ;
Et, devant tout, dans les terrestres lieux,
Fit respecter l’autorité des dieux.
Tel fut ici le siècle de Cybèle.
Mais à ce dieu[5] la terre enfin rebelle
Se rebuta d’une si douce loi,
Et de ses mains voulut se faire un roi.