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PANÉGYRIQUE


PREMIÈRE PARTIE.

Je l’avoue, messieurs, ceux qui veulent parler d’un gouvernement sage et heureux ont, dans ce siècle, un grand avantage. Mais pense-t-on à quel point ce grand art de rendre les hommes heureux est difficile ? Comment prendre toujours le meilleur parti, et faire le meilleur choix ? Comment aller avec intrépidité au bien général au milieu des murmures des particuliers, à qui ce bien général coûte des sacrifices ? Est-il si facile de déraciner du milieu des lois ces abus que des hommes intéressés font passer pour des lois mêmes ? Peut-on faire concourir sans cesse au bonheur de tout un royaume la cupidité même de chaque citoyen ; soulager toujours le peuple et le forcer au travail ; prévenir, maîtriser les saisons même, en tenant toujours les portes de l’abondance prêtes à s’ouvrir, quand l’intérêt voudrait les fermer ? Si ce fardeau est si pesant pour un prince absolu, qui a partout des yeux qui l’éclairent et des mains qui le secondent, de quel poids était le gouvernement dans les temps où Dieu donna saint Louis à la terre ?

Les rois alors étaient les chefs de plusieurs vassaux désunis entre eux, et souvent réunis contre le trône. Leurs usurpations étaient devenues des droits respectables. Le monarque était en effet le roi des rois, et n’en était que plus faible. La terre était partagée en forteresses occupées par des seigneurs audacieux, et en cabanes sauvages où la misère languissait dans la servitude.

Le laboureur ne semait pas pour lui, mais pour un tyran avide qui relevait de quelque autre tyran ; ils se faisaient la guerre entre eux, et ils la faisaient au monarque. Le désordre avait même établi des lois par lesquelles tout ordre était renversé. Un vassal perdait sa terre s’il ne suivait pas son seigneur armé contre le souverain. On était parvenu à faire le code de la guerre civile.

La justice ne décidait ni d’un héritage contesté ni de l’innocence accusée : le glaive était le juge. On combattait en champ clos pour expliquer la volonté d’un testateur, pour connaître les preuves d’un crime. Le malheureux qui succombait perdait sa cause avec la vie ; et ce jugement du meurtre était appelé le jugement de Dieu. La dissolution dans les mœurs se joignait à la férocité. La superstition et l’impiété répandaient leur souffle impur sur la religion, comme deux vents opposés qui désolent égale-