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PANÉGYRIQUE DE LOUIS XV.

n’être pas touché de ma douleur. » Qu’une telle lettre est honorable, et pour qui l’écrit, et pour qui la reçoit ! Ô hommes ! apprenez d’un prince et d’un roi ce que vaut le sang des hommes, apprenez à aimer.

Quel préjugé s’est répandu sur la terre, que cette amitié, cette précieuse consolation de la vie, est exilée dans les cabanes, qu’elle se plaît chez les malheureux ! Ô erreur ! l’amitié est également inconnue, et chez les infortunés occupés uniquement de leurs maux, et chez les heureux souvent endurcis, et dans le travail des campagnes, et dans les occupations des villes, et dans les intrigues des cours. Partout elle est étrangère : elle est, comme la vertu, le partage de quelques âmes privilégiées ; et lorsqu’une de ces belles âmes se trouve sur le trône, ô Providence, qu’il faut vous bénir ! Puissent ceux qui croient que dans les cours l’intrigue ou le hasard distribue toujours les récompenses, lire quelques-unes de ces lettres que le monarque écrivait après ses victoires ! « J’ai perdu, dit-il dans un de ces billets où le cœur parle et où le héros se peint, j’ai perdu un honnête homme et un brave officier, que j’estimais et que j’aimais. Je sais qu’il a un frère dans l’état ecclésiastique ; donnez-lui le premier bénéfice, s’il en est digne, comme je le crois. »

Peuples, c’est ainsi que vous êtes gouvernés. Songez quelle est votre gloire au dehors, et votre tranquillité au dedans ; voyez les arts protégés au milieu de la guerre ; comparez tous les temps ; comptez-les depuis Charlemagne : quel siècle trouverez-vous comparable à notre âge ? Celui du règne trop court de l’immortel Henri IV, depuis la paix de Vervins ; et encore quel affreux levain restait des discordes de quatre règnes ! Les belles et triomphantes années de Louis XIV ; mais quels malheurs les ont suivies ! et puisse notre bonheur être plus durable ! Enfin vous trouverez soixante ans peut-être de grandeur et de félicité répandues dans plus de neuf siècles : tant le bonheur public est rare ! tant le chemin est lent, qui mène en tout genre à la perfection ! tant il est difficile de gouverner les hommes et de les satisfaire !

On s’est plaint (car la vérité ne dissimule rien, et nous sommes assez grands pour avouer ce qui nous manque), on s’est plaint qu’un seul ressort se soit rencontré faible dans cette vaste et puissante machine si habilement conduite. Louis XV, en prenant à la fois le timon de l’État et l’épée, ne trouva point, dans ses ports, de ces flottes nombreuses, de ces grands établissements de marine qui sont l’ouvrage du temps. Un effort précipité ne peut en ce genre suppléer à ce qui demande tant de prévoyance et une si