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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

Toutes les histoires imprimées en Hollande reprochent à Louis XIV la révocation de l’édit de Nantes. Je le crois bien ; tous ces livres sont écrits par des protestants. Ils furent des ennemis d’autant plus implacables de ce monarque qu’avant d’avoir quitté le royaume ils étaient des sujets fidèles. Louis XIV ne les chassa pas comme Philippe III avait chassé les Maures d’Espagne, ce qui

    Il ne voulait pas dire des choses dures à M. de Barbezieux ; il écrit à son oncle pour le prier de lui parler et de le corriger : Je sais ce que je dois, dit-il, à la mémoire de M. de Louvois ; mais si votre neveu ne change de conduite, je serai forcé avec douleur à prendre un parti. Ensuite il entre dans un long détail de toutes les fautes qu’il reproche à son ministre, comme un père de famille tendre et instruit de ce qui se passe dans sa maison. Il se plaint que M. de Barbezieux ne fait pas un assez bon usage de ses grands talents ; qu’il néglige quelquefois les affaires pour les plaisirs ; qu’il fait attendre trop longtemps les officiers dans son antichambre ; qu’il parle avec trop de hauteur et de dureté. La lettre est assurément d’un roi et d’un père.

    Dans mille libelles qu’on a écrits contre lui, on lui a reproché ses amours avec la plus grande amertume ; mais quel est celui de tous ceux qui l’accusent qui n’ait eu la même passion ? Il est plaisant qu’on ne veuille pas donner à un roi une liberté que les moindres de ses sujets prennent si hautement.

    Ceux qui n’ont jamais connu cette passion sont d’ordinaire des caractères durs et impitoyables. Une femme digne d’être aimée adoucit les mœurs ; elle est la seule qui puisse dire à un prince des vérités utiles, qu’il n’entendrait peut-être pas sans honte et sans dépit de la bouche d’un homme, et qu’un homme même n’oserait pas dire. Louis XIV fut heureux dans tous ses choix, et il le fut encore dans ses enfants naturels ; il en eut dix légitimés, et deux qui ne le furent pas. Des dix légitimés, deux moururent dans leur enfance ; les huit qui vécurent eurent tous du mérite. Les princesses furent aimables, le duc du Maine et le comte de Toulouse furent des princes très-sages. Le comte de Vermandois, qui mourut jeune, et qui était amiral avant le comte de Toulouse, promettait beaucoup.

    Dans les dernières histoires de Louis XIV, on prétend que ce fut Mme de Montespan qui produisit elle-même Mme de Maintenon à la cour ; on se trompe. Ce fut le duc de Richelieu, père du premier gentilhomme de la chambre, qui a été si connu en Europe par les agréments de sa figure et de son esprit, et par le service qu’il a rendu dans la bataille de Fontenoy. L’hôtel de Richelieu était le rendez-vous de la meilleure compagnie de Paris, et soutenait la réputation du Marais, qui était alors le beau quartier. Mme de Maintenon, qu’on appelait madame Scarron, veuve du fils d’un conseiller de grand’chambre, d’une très-bonne famille de robe, et petite-fille du fameux d’Aubigné, si connu sous Henri le Grand, allait fort souvent à l’hôtel de Richelieu, dont elle faisait les délices. Mme de Montespan voulant envoyer aux eaux de Barége son fils le duc du Maine, encore enfant, qui était né avec une difformité dans un pied, cherchait une personne intelligente et secrète qui se chargeât de la conduite. La naissance du duc du Maine était encore un mystère. M. le duc de Richelieu proposa ce voyagea Mme Scarron, qui n’était pas riche ; et M. de Louvois, qui était dans la confidence, la fit partir pour les eaux secrètement avec le jeune duc du Maine. Il faut avouer qu’il y eut dans la fortune de cette dame une destinée bien étrange. Elle était née à Niort, dans la prison où son père était renfermé après s’être sauvé du château Trompette avec la fille du sous-gouverneur, nommé de Cardillac, qu’il avait épousée ; ainsi elle était très-bonne demoiselle par son père et par sa mère, mais sans aucun bien. Son père avait dissipé le peu de fortune qu’il avait eu, et en chercha une en Amérique.